Dans la vie, les occasions d’être con ne manquent pas, je ne m’en suis pas privé !
J’étais un jeune con et, croyez-moi, c’est de loin la meilleure école pour devenir un vieux con.
Et je voudrais saisir l’occasion de ce billet pour rendre hommage à monsieur Schichilone, humble fourmi de ce bas monde, mais qui, alors que je débutais ma carrière, dirigeait un centre d’accueil pour toxicomanes.
Il m’avait un jour appelé pour me reprocher, assez sèchement il faut le reconnaître, de m’être laissé embobiner par un de ses clients et de lui avoir prescrit des tranquillisants.
Bien sûr, fier de ma fraîche patente, je l’avais aussi sèchement envoyé chier…
Gloire à toi Schichilone !
Et honte, honte, honte à moi béjaune arrogant.
Arrogance d’autant plus insoutenable, mais peut-être ne vous en ai-je jamais parlé, que j’avais été moi-même toxicomane dans mon jeune temps.
Mais attention, toxicomane assuré social !
Vous ne me croirez pas mais alors les amphétamines, non seulement étaient en vente dans les pharmacies, mais également remboursées par cette bonne sécu.
Bien sûr, on ne disait pas amphétamine, mais plus élégamment, médicalement parlant s’entend, anorexigène, ce qui, en charabia carabin signifie coupe-faim, et l’on écrivait au stylo plume sur le vélin d’une ordonnance : Ténuate d’Ospan.
Non, ce n’est pas un prénom moyenâgeux suivi du patronyme d’un aristo excité, mais bien des amphettes gratuites grâce auxquelles nous faisions des bamboulas de 48 heures sans fermer l’œil, et parfois même nous en usions, avec parcimonie s’entend, pour réviser quelque examen.
Sûr que les palpitations étaient au rendez-vous mais nous avions le cœur jeune et l’inconscience péremptoire.
Tant et si bien que ces divines pilules, associées à un engagement existentiel pour le moins scabreux, finirent par me rendre sujet à des attaques de panique (que j’appelais alors crises d’angoisse, mais il m’a fallu bien pire pour découvrir le pire), des attaques de panique donc qui ne m’autorisaient aucune claustration, qui m’obligeaient à descendre à chaque station de métro pour attendre la rame suivante le temps d’avoir suffisamment repris mon souffle pour tenir ensuite trois minutes en apnée dans le wagon de seconde (car il y avait encore en ces temps lointains des wagons de première classe inaccessibles aux carabins fauchés), en apnée donc jusqu’à la station suivante.
Si les voyages forment la jeunesse, leurs durées l’ébrèchent singulièrement.
Broyé par cette claustrophobie iatrogène (due au sieur d’Ospan sus cité), j’en vins même un jour à abandonner ma voiture en plein embouteillage ! Quant à l’idée de m’immiscer sur une autoroute…
J’étais alors interne en chirurgie et pour vous éviter de cauchemarder, je vous dispenserai de la narration de mon calvaire au bloc, tout particulièrement lorsque la maîtrise de l’intervention nous échappait et que le délai pour m’évader du champ stérile se faisait soudain incertain.
Bref, je finis par m’en ouvrir à mon chef de service que ça ne parut pas émouvoir et qui, d’une main dégantée de son latex ordinaire, me prescrivit du Valium. Oui, car le Valium en ces temps reculés était aussi disponible que les amphétamines et non moins remboursé.
Quoi ? Ce serait encore le cas !
Ne me dites pas que l’on prescrit et rembourse encore le Valium, et pourquoi pas le Temesta, le Lexomil, le Xanax, le Lysanxia et autre Tranxène. Toutes ces rimes en zépam : Diazépam, Bromazépam, Flunitrazépam, Prazépam et autre Lorazépam…
Oui, je suis bien placé pour savoir que je plaisante mais reconnaissez que les générations à venir vont se gausser !
Bref, du Valium-Diazépam donc il me prescrivit, et du 10mg direct.
Pour votre gouverne il est recommandé par l’HAS (Haute Autorité de Santé) de ne pas dépasser 15 mg par jour. Mais mon patron était généreux d’autant que sa prodigalité lui était grassement permise par la susnommée Sécu.
Ce fut miraculeux.
Je pus reprendre le métro, ma voiture (on ne vous fait pas souffler dans le ballon pour détecter les zépam) et même aller au cinéma, pour peu bien sûr que je puisse être assis au bord de l’allée centrale.
Mais les zépam sont des saloperies.
Comme les vraies drogues qu’elles sont, en moins de temps qu’il en faut à un chanoine pour bénir une choucroute, elles entraînent une accoutumance (je dus en effet rapidement augmenter les doses pour maintenir mon confort) et une dépendance (la moindre diminution de la posologie et surtout le simple fait de ne pas avoir mes bonbons sur moi me mettaient dans un état d’affolement irrépressible).
Bref, j’ai enrichi à moi seul le labo dealer et sa prodigalité m’aliéna chaque jour davantage, ce d’autant que, pour palier la réduction des prodiges de mon ambroisie, j’avais découvert les félicités fulgurantes du double V, non pas W mais bien V+V : Vodka-Valium.
Et puis, le jour survint où le nouveau patron d’un nouveau service entra dans le miteux bureau des nouveaux internes où je sévissais, tout effaré par la livraison dans ledit service d’une jeune toxicomane (on ne disait pas junkie à l’époque) qui, rendez-vous compte, pouvait ingurgiter jusqu’à 80 mg de Valium par jour. 80 mg !
Comment pouvait-elle encore tenir debout avec 80 mg de Valium dans le corps demanda le nouveau patron du nouveau service au nouvel interne qui bredouillait une réponse à ce qui n’était pas une question !
Et c’est alors que je réalisai qu’il m’arrivait régulièrement de carburer à plus de 100 mg/jour !
Voilà tu la connais l’histoire aurait dit Barbara…
Je vous épargnerai l’horreur que fut la redescente, non aux enfers, mais au soi-disant paradis des abstinents.
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui je ne fais plus d’attaque de panique rassurez-vous, l’angoisse me suffit. Mais je demeure ce que la nosologie médicale classe sous le label dysneurotonique, que le populo développe en la chatoyante formule pau’fille hystérique qu’a ses nerfs.
Et je dois reconnaître qu’il m’arrive de craquer, une ou deux ou trois fois l’an tout au plus, pour un demi-Valium 5, 2,5 mg, une broutille, qui ont un tel effet d’apaisement, de bien-être, de détachement, de régulation cardiaque, de relâchement du diaphragme, de décrispation des mâchoires, que j’y reviendrais volontiers si je ne rendais grâce à cette jeune fille dosée à 80, jeune fille que pour tout dire je n’ai jamais croisée.
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QUANTUM SATIS
Q.S : Quantité Suffisante –– Q.S.P : Quantité Suffisante Pour.