D’aucuns pensent que le langage a été inventé pour transmettre un savoir technique.
Erreur funeste !
Essayer donc d’expliquer au téléphone comme faire un nœud de lacet !
Le langage, bien au contraire, a été inventé pour chatter, pour médire, pour raconter des histoires, pour édifier des mythes et les transmettre aux hommes afin qu’ils jurent, mais un peu tard, qu’on ne les y prendrait plus. (Hélas, ils ont la mémoire courte…)
Pourtant un exercice de topographie littéraire peut être cocasse. Voyons donc si vous parvenez à vous représenter les lieux dont il va être question. (Pour ce qui est de l’histoire ce sera plus simple puisque nous en reviendrons à la fonction première du langage)
Imaginez un B&B banal sur l’île de Jersey.
Disons une maison de plain-pied, de taille modeste à l’origine, mais à laquelle, pour les besoins du business sans doute, on a accolé, à l’équerre, une aile rectiligne, comportant un couloir rectiligne desservant sur sa droite trois chambres en enfilade.
En rebroussant chemin dudit couloir, vous revenez dans l’ancienne salle à manger qui aujourd’hui sert précisément de salle à manger pour les hôtes (payants) de passage.
Et bien, voilà, ce n’est pas si compliqué que ça. Je suis sûr que vous visualisez déjà très bien les locaux.
Résumé : une maison de plain-pied comportant une salle à manger de laquelle démarre un couloir desservant (côté droit) trois chambres d’hôtes en enfilade (les chambres, pas les hôtes !)
Vous y êtes ?
Bon, tout cela pour dire que c’est la première chambre de cette enfilade, celle qui jouxte la salle à manger, qui nous fut allouée à l’amour de ma vie d’alors et à moi-même par un beau week-end de mai, sans qu’il ne me revienne quelle fantaisie nous avait poussés sur les rivages de cette île dite « anglo-normande ».
Les deux autres chambres (la deuxième et la troisième donc) devaient être également occupées car le B&B affichait complet.
Pas de panique, il ne s’agit pas du début d’un roman d’Agatha Christie mais d’une simple installation pour la nuit de deux français en relâche.
J’en étais encore à chercher sous le lit la deuxième chaussette de la paire que je venais de quitter tandis que l’amour de ma vie d’alors, fasciné par son sourire de star, crépissait allègrement de dentifrice le miroir de la salle de bain, lorsque…
Lorsqu’un gémissement nous parvint de la chambre voisine (n°2 donc, entre la 1 et la 3 ), gémissement assez aigu pour que nous ne puissions douter qu’il ne parvienne d’un larynx féminin, gémissement rapidement transmuté en un feulement sourd lui même laissant place à une sorte de meuglement plus adapté à cette contrée vachicole, meuglement dont la raucité s’épanouit crescendo jusqu’à un barrissement polytonal soutenu, barrissement qui nous aurait sans doute terrifié quant au sort infligé à l’ingénue si le tempo marqué par la tête de lit contre la cloison ne nous avait rassurés sur l’étiologie de l’égosillement de notre mitoyenne.
Apparemment le pilonnage ne la laissait pas indifférente et son aveu était pour le moins flatteur pour l’ajusteur, encore qu’à trop témoigner on pouvait se demander si elle ne répétait pas déjà pour l’accouchement.
Bref, je ne sais pas si c’était bon, mais force est d’admettre que c’était pour le moins « noisy ».
Heureusement, chacun sait que le « Il m’a aimé toute la nuit mon légionnaire » dépasse rarement les vingt minutes, et lorsqu’un ronflement régulier vint nous signifier que le verrat avait épuisé sa glandée, nous pûmes donner au tohu-bohu précédent un écho plus intime dont la discrétion nous paru paradoxalement « so british ».
Au matin, comme nous quittions notre chambre, apparu à l’autre bout du couloir un couple de notre âge (donc plutôt jeune à l’époque) avec qui nous échangeâmes un aimable « good-morning » qui trahit instantanément notre nationalité, et, en payses, nous nous installâmes à une table de quatre.
Je ne dirai pas que nous en vînmes à évoquer l’épisode éruptif de la veille, ce fut au contraire une complicité instantanée. Et c’est au milieu de nos éclats de rire un brin potache, qu’apparu un trop anglais couple d’anglais, constitué d’un anglais long blafard et rubicond flanqué d’une non moins anglaise blonde, presque jusqu’aux racines, et boulotte, et mammaire, et vulgaire à en être désirable.
Et tandis que, dans les relents de bacon et de harengs saurs tièdes leurs yeux ébouriffés cherchaient où se poser, comme un seul homme nous nous sommes levés pour les applaudir.
.
CASTIGATE RIDENDO MORES
Fustigez les mœurs en riant