PIERRES DE SUCRE

Ces messieurs dames prendront-ils des cafés avec leur dessert ?

Oui, quatre ! s’écria ma tante sans nous consulter.

Que ma tante prît un dessert pour pousser le foie gras et le confit avait cessé de me surprendre. Mais je jubilais à observer son invitée hypnotisée par cette gargamelle dont la cuiller famélique ébréchait le Paris-Brest en prenant soin de répartir équitablement pâte à chou et crème au beurre. Ce, juste avant que d’une circonvolution engoncée par sa prodigieuse poitrine sur laquelle venait s’écraser l’opulence de son bras, elle n’éleva la cargaison. Alors fixant d’un salivant strabisme ses doigts engloutis de bagues, elle guidait le tout afin que rien ne vienne perturber l’introït du couvert gorgé entre ses lèvres avides. Et ce prélude à la transmutation du geste s’épanouissait en une évanescente extase quand se discernait dans ses yeux mi-clos le succulent délitement de la calorique hostie.

Ah non, surtout pas de sucre avec le café ! s’exclama-t-elle dans un sursaut peccamineux, raflant les empaquetés petits cubes dans la soucoupe de mon oncle, dans la mienne, Et vous Karine ?, et dans celle de Karine.

Et ces huit sucres raflés, elle les fit prestement engloutir par la gueule de pélican de sa minuscule aumônière dont elle avait dissocié le fermoir d’un preste clic. Alors sa main innocente put se saisir de la tasse dont tout prêtait à penser que la fonction tenait moins au brûlant breuvage qu’au larcin licite qu’il autorisait.

Sucre.

Pierres de sucre.

Récupérer les pierres de sucre.

Qui pourra m’expliquer pourquoi mères, grand-mères, belles-mères et autres tantes, s’évertuent à nous pétrir d’opprobre par l’ostensible discrétion avec laquelle elles accomplissent ces lésines. Lésines qui iront de toute évidence croupir au fond de quelque tiroir à moins qu’un enfant ne s’en bâtisse un château et se fasse irrémédiablement houspiller pour en avoir croqué un parpaing juste avant le déjeuner.

Mais déjà j’aidais à désenchasser ma tante de son fauteuil bridge tandis que Karine tirait la table à elle jusqu’à l’asphyxie, et, noces et banquets, nous nous dirigions vers le bar où mon oncle réglait les agapes.

C’est alors que ma tante chercha quelque monnaie pour le service.

Ô monnaie maladroite qui jaillit de la mini aumônière et vint crépir avec tout son contenu la ruelle du bar.

Et, serviteur de l’impliable glaneuse, je me vis contraint de récolter, sous le regard narquois du loufiat, une demi-douzaine de pierres honteuses dont je l’aurais volontiers lapidé.

MELIUS MORI QUAM FOEDARI

Mieux vaut mourir que de se déshonorer

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