– Bonjour Vincent, vous avez l’ai bien guilleret.
– Pas vraiment…
– Pourtant je vous entendais chantonner.
– Il ne faut pas se fier aux apparences.
– Excusez-moi.
Et que chantonniez-vous donc qui ne vous rendait pas guilleret ?
– Pauvre Rutebeuf :
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
– Ah, Joan Baez ! toute mon adolescence.
– Je lui préfère la version originale de Léo Ferré.
– Je vous l’accorde. Et ce pas guilleret ?
– Monsieur 33, vous souvenez-vous de Jan Palach ?
– Vous avez décidemment décidé de labourer mon adolescence.
– Mais, Monsieur 33, qui se souvient de Jan Palach ?
– …
– Voilà !
Savez-vous qu’il existe une rue Jan Palach dans cette ville même ?
– Vous me l’apprenez.
– Et les gens qui habitent cette rue, pensez-vous seulement qu’ils savent qui était Jan Palach ?
– Oh là, Vincent, ça sent la nostalgie.
– Ce n’est pas de la nostalgie, Monsieur 33, c’est du dépit !
Rappelez-vous Monsieur 33 : en août 68, les troupes du Pacte de Varsovie (pour mémoire Ex URSS, Ex RDA, Pologne, Bulgarie, Roumanie, Hongrie et Albanie) envahissent la Tchécoslovaquie, qui, au demeurant, faisait partie de ce dit Pacte mais avait eu la mauvaise idée de se libéraliser.
Le 16 janvier 1969 Jan Palach s’immole par le feu sur la place Venceslas à Prague et mourra de ses blessures trois jours plus tard. Mais il faudra attendre plus de dix ans pour que la Tchécoslovaquie retrouve sa liberté.
– Quelle mémoire !
– Il faut bien que quelqu’un ait de la mémoire pour les autres. A croire que les sociétés sont devenues amnésiques quand on voit comment les libertés reculent dans notre monde :
Avec pauvreté qui m’atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d’hiver
– C’est oublier, Vincent que les dictatures des pays du Pacte de Varsovie se sont toutes effondrées et que la plupart des pays signataires font aujourd’hui partie de l’Union Européenne.
– Je vous l’accorde mais, pour ce qui est de la démocratie, tous ces pays ont enclenché la fonction marche arrière toute.
– Ce n’est pas faux. Mais n’est-ce pas le propre de toute société moderne que de répondre à l’effet dit balancier ?
– Balancier prévisible alors :
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m’était à venir
M’est advenu
– Mais en 68, Jan Palach n’est pas mort pour rien. Toute contestation a besoin de héros, comme l’étudiant de la place Tian’anmen en 89, même si l’effet escompté n’est pas immédiat.
– Il nous faudra donc encore et encore des Jan Palach ?
– Mais alors nous leur devrons un devoir de mémoire. Et vous avez raison, Vincent, de les secouer, ces mémoires volatiles.
– A Jan Palach !
– A Jan Palach !
.
VENTURI NON IMMEMOR AEVI
N’oublie pas les générations futures