COMME LES POIRES

On a tous dans le cœur une grand-mère tendre et ridée, vieille pomme doucereuse, granny caressant le dos de sa main tavelée pour en lisser les veines noueuses.

J’aimais ce geste qu’elle reprenait pour m’expliquer une recette, usant toujours à cette occasion de l’article possessif :

Tu fais chauffer TON huile, puis tu fais revenir TES oignons et seulement alors tu mets TES tomates,

Indications chaque fois ponctuées d’un glissement des doigts de sa main droite sur le dos de sa main gauche

Elle avait aussi cette lenteur dans ses mouvements, une façon de mesurer ses gestes, une précision à éviter les tremblements, une prudence toute arthrosique qui avait gommé dans mon imagination d’enfant l’idée qu’elle ait pu être jeune un jour, et alerte, et gaillarde.

Tout me semblait vieux chez elle, et je ne comprenais pas pourquoi les vielles gens s’attachaient à ce point aux choses, moi qui passais le plus clair de mon temps à casser mes jouets, leur imposant un turn-over honteux, voire obscène.

Un jour ma grand-mère fondit en larmes d’avoir laisser échapper une tasse qu’elle essuyait et je tentai sincèrement de minimiser l’incident, faisant valoir le peu de valeur de la perte.

Ballot que j’étais !

Ce n’était pas la tasse qu’elle pleurait mais l’agilité perdue de ses doigts noueux.

La vieillesse est un naufrage comme disait celui qu’elle appelait le Grand Charles.

Mais ce qui me surprenait toujours tenait en ce que, bien que son éducation lui valu un langage châtié, elle ne s’embarrassait pas des euphémismes de notre génération tels que black, beurs ou feujs; pour elle il y avait tout bonnement les nègres, les bicots et les youpins.

Le franc-parler parisien avait d’ailleurs insidieusement contaminé son affectation aristocratique.

Ainsi je la trouvais un jour de méchante humeur d’avoir été gênée dans son sommeil par son voisin qui, rentré avec une catin, avait fait la bamboche jusqu’à point d’heure.

Et vous n’êtes pas allée le lui dire ?

Non merci le son me suffisait, mais il ne perd rien pour attendre.

Vrai que la vieille avait l’ouïe fine et je n’avais pas entendu tintinnabuler le trousseau dudit voisin qu’elle avait déjà ouvert sa porte palière pour l’invectiver.

C’est tout de même fort de café. Que vous rameniez une grue, passe, mais vous pourriez avoir la décence d’être discret !

Dis donc mémère tu vas pas m’chier une pendule pour des trucs qui sont plus d’ton âge !

C’est pourtant moi qui fus médusé quand mémère n’abandonnant pas pour autant le voussoiement de sa génération lui cingla :

Vous êtes comme les poires, vous pourrirez par la queue !

.

UT HOMINES SUNT ITA MOREM GERAS

Il faut prendre les hommes comme ils sont

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *