Savez-vous ma chère Âme que j’ai été formé aux consultations d’annonce, technique, si j’ose dire, que j’ai transmise ensuite.
Pour votre gouverne, une consultation d’annonce est, comme son nom l’indique, une consultation au cours de laquelle vous annoncez des résultats péjoratifs à un patient.
Avant toute chose, il faut savoir que, quelle que soit la manière dont vous vous y preniez, le patient se plaindra. Malheur au porteur de mauvaise nouvelle ! Vous voilà investi du sale rôle de Cassandre, cet archétype du prophète maudit. Je ne me souviens plus dans quelle pièce, Shakespeare met dans la bouche l’un de ses personnages : Don’t shoot the messenger !
Assumons donc…
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, une consultation d’annonce est très simple et répond à deux impératifs :
- Le premier consiste à être très clair et, quitte à être abrupt, à n’utiliser ni circonvolutions ni métaphores propres à provoquer un malentendu : J’ai reçu vos résultats, hélas ils sont mauvais, et donner quelques détails indispensables.
- Ensuite, il faut se taire. Que dis-je se taire ! Il faut impérativement fermer sa gueule. Vous venez de tirer un coup de bazooka dans les oreilles de votre interlocuteur et vous essayez de lui expliquer comment gérer sa surdité.
Se taire, dans cet occurrence, c’est d’abord et avant toute chose attendre les questions. Chaque personne a sa propre problématique, et le plus souvent, elle ne repose pas sur le traitement de la pathologie que l’on vient de lui annoncer. Donc, se taire, se taire, se taire et se mettre à l’écoute.
Hélas, nombre de médecins sont tellement mal à l’aise dans cette situation qu’ils se sentent obligés de meubler le silence qui suit par des considérations thérapeutiques que le patient est totalement incapable d’entendre, ce qui le conduira ultérieurement à reprocher qu’on ne l’ait pas informé.
Las, combien d’occasion manquons nous de nous taire !
Ma vie durant, je me serai toujours reproché de parler à tout propos, de la ramener sur tous les sujets, bref, de faire l’intéressant pour ne pas dire l’histrion.
Et pourtant, j’ai reçu dès le début de ma carrière une leçon d’humilité qui aurait dû calmer ce funeste penchant.
Il se trouvait dans ma ville un vieux médecin homéopathe, le docteur Rapp, qui avait une grande réputation et qui exerçait toujours alors qu’il devait avoir passé les quatre-vingts ans.
Tout de même impressionné par le demi-siècle qui nous séparait, je me suis décidé un jour à lui rendre visite.
J’entrai dans son bureau Empire, ou plutôt Louis-Philippe comme les médecins de sa génération les affectionnaient, et il me fit assoir dans un fauteuil non moins Louis-Philippe.
Nous devisions tranquillement et, tandis que je l’incitais à me parler de sa pratique, il me demanda ce qui moi-même m’intéressait et j’en vins à évoquer le certificat de phytothérapie et de botanique médicale je préparais alors.
L’entretien se poursuivait autour de préparations à base de poudres, huiles essentielles et autres extraits entrant dans des préparations diverses lorsque je fus surpris de constater…qu’il prenait des notes !
Comment celui que je considérais comme un maître, cet érudit dont la réputation n’était plus à faire, pouvait-il encore avoir l’humilité d’en apprendre du béjaune que j’étais !
Je parlais…
Words, words, words comme dirait encore Shakespeare.
Lui m’écoutait…
A ce stade ma chère Âme, je ne peux résister à l’envie de vous citer ce passage de L’Imitation de Jésus-Christ :
Je voudrais plus souvent m’être tu et ne m’être point trouvé avec les hommes.
D’où vient que nous aimions tant à parler et à converser lorsque si rarement il arrive que nous rentrions dans le silence avec une conscience qui ne soit point blessée ?
Nous nous plaisons à parler, à occuper notre esprit de ce que nous aimons, de ce que nous souhaitons, de ce qui contrarie nos désirs, mais souvent, hélas, bien vainement, car cette consolation extérieure est un obstacle à la consolation que Dieu donne intérieurement.
.
NULLUM VERBUM QUANTUM MEUM SILENTIUM VALET
Aucun mot ne vaut mieux que mon silence
.
APHORISME
.
Ma mère adore les singes.
J’imagine l’un d’eux se faisant cette réflexion :
Jolie guenon, elle n’a que la parole en trop !