PEURS

On dit des riches héritiers qu’ils sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche.

À ma naissance mes parents ne possédaient absolument rien à l’exception d’une chose : la peur de manquer.

Bel héritage !

Si tu savais, Seigneur, comme j’ai peur !

Tu partages quand je compte, et si j’ai trois pains et deux poissons, j’en congèle la moitié.

Je Te vois marcher sur les eaux profondes, mais comment Te suivre quand je perds pied dans ma baignoire, quand je passe ma vie à écoper, quand je surfe de la passiflore au Lexomil, quand j’affale mes voiles à la première palpitation et que le moindre bobo me fait tanguer.

Je tourne en rond sur la mare aux canards de ma vie et ne suis jamais à plus de deux pas de mon alarme et à une lieue d’un hôpital.

La brise légère de Ta présence me ferait passer une robe de chambre et si Tu me parlais je consulterais pour acouphènes.

Je veux bien être crucifié en Ton nom mais avec une laine !

Alors comment percevoir la chaleur de Ton amour si aussitôt je mets la clim.

Je ne m’assiérais pas pour T’écouter dans l’herbe verte sans y étendre un plaid.

Mes tics m’effraient, mes tocs me rongent, l’idée de boire à Ta coupe me scelle les lèvres.

Roland essoufflé, je suis le Lancelot de la rumination, le Bayard de la paraphrase.

Je babélise seul et mes projets sont vains comme un rêve d’amnésique.

Je m’assure de toute part à mes cordages et à mes mousquetons, et ma vie ressemble à un exercice d’acrobranche.

Me voilà arrimé comme un mille pattes.

Comment alors Te tendre la main ?

Et si je la tends, c’est le bras suffisamment replié pour que Tu ne l’attrapes pas.

Comment semer sur du timoré, moissonner dans un cocon et pétrir sous ma couette ?

Et quand je me hasarde hors du caveau que j’ai anticipé, prétendument seul dans Ton imperçue présence, je me rue dans l’existence sabre au clair, sans invoquer ni Ton aide ni Ta protection, m’en remettant à ma seule faconde pour combattre des dragons de carton et traverser des océans nanométriques avant d’escalader gaillardement les taupinières de ma vanité d’où je déclenche des tempêtes qui ne font trembler que des plumes.

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HORA INCOGNITA ET TIMENDA

C’est l’heure que nous ne connaissons pas

qui est surtout à craindre

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