BIBELOTS (CATHOLIQUES)

Les privations de la guerre ont laissé des séquelles pour toute une génération dont la devise semble être : « on ne gâche pas ! », et ipso facto, on ne jette rien en particulier tout ce qui touche à la nourriture.

Ainsi, lors du réaménagement d’un placard de sa cuisine j’ai découvert chez ma mère des sachets de tisane millésimés puisque, je n’invente rien, périmés depuis plus de 30 ans !

« Mais ça ne s’abime pas » m’a-t-elle rétorqué. Je veux bien admettre que le risque sanitaire devait être minime, mais l’éventualité de se retrouver avec une infusion saveur « sac aspirateur » était plus que probable.

Dans la même série, un petit flacon de vinaigre de framboises hors d’âge trônait dans son frigo

« Ça fait joli ! ».

Expliquez-moi comment peut naitre dans l’esprit de cette ménagère de bien plus de 50 ans l’idée saugrenue d’encombrer une clayette pour « faire joli » dans un frigo fermé, le fait qu’il soit régulièrement ouvert ne changeant rien au demeurant à l’incongruité de cet ornement.

Pour saisir ce paradoxe, il faut comprendre que pour ma mère, « faire joli » signifie « en rajouter », un sapin ne trouvant grâce à ses yeux qu’une fois chamarré de boules et de guirlandes (électriques de préférence) et tout objet ne peut accéder au titre de « joli » que dument planté sur un napperon.

Qu’on se le dise, le napperon est pour moi l’objet le plus abominable qui soit !

Non que le napperon soit abominable en soi, mais il fait craindre que ne vienne s’avachissir dessus quelque objet aussi hideux qu’inutile. C’est là toute sa faute…

Mais si je déteste les napperons, cela tient essentiellement au fait que j’exècre les bibelots.

Soyons franc, hormis une prédisposition inégalée pour la nidification de la poussière, l’inanité du bibelot en dispute le plus souvent à la disgrâce.

Mais je fais là au bibelot un procès inique, car ce n’est pas tant lui-même dans sa singularité qui m’indispose, mais plutôt la nauséeuse accumulation de sa fratrie.

La seule vertu que je serais disposé à accorder au bibelot tiendrait dans sa fonction mémorielle quand, lors du passage d’un prudent chiffon, se racontent en braille sur les doigts peureux de l’aïeule les contours tenaces du vide.

Mais la nostalgie n’est pas mon fort. Je suis trop attaché à l’instant présent pour souffrir (algos) d’un retour (nostos) sur le passé.

Après tout si j’ai vécu naguère et même, avouons-le, pour ainsi dire jadis, louanges en soient faites, aujourd’hui je vis l’aujourd’hui! Et à l’évidence, tous mes souvenirs ne sont jamais qu’un présent du passé. Ce retour fantasmatique sur des évènements par essence disparus, qu’ils fussent agréables ou pénibles, je le vis donc hic et nunc avec le plaisir goulu que peut me susciter la lecture d’un roman, celui de ma vie en l’occurrence.

Oui ce retour, qui au final n’en est pas un puisque je suis toujours présent au présent, ce pseudo retour donc est pour moi une singulière source de plaisir. Et puisque les grecs appelaient le plaisir hédoné, j’aimerais, pour mon usage personnel (mais non exclusif) signifier au dictionnaire ce plaisir du retour par le néologisme nosthédonie.

Mais, ma mémoire restant pour l’heure encore assez vigile, pourquoi, pour en revenir aux bibelots, aller encombrer mon univers de ces poussiéreux mémentos. Je leur préfère de loin mon agenda où se raconte le présent de mon futur.

Et pourtant…

Et pourtant, tel un artefact sur l’immaculé de ma salle de bain, trône, occupé à se brosser les dents, un petit Snoopy en plastique offert par ma fille enfant. Et voilà qu’il pollue adorablement ce lieu depuis plusieurs décennies sans que, quasi superstitieusement, je me décide à m’en défaire.

Et il y en va-t-ainsi, progressivement, de quelques autres…

Mais s’il n’y avait que ma mère et ses congénères pour succomber à cette syllogomanie !

Connaissez vous l’abbatiale de la Chaise Dieu, la Casa Dei, cette abbaye.de style gothique rayonnant dit « méridional », d’une sobriété toute cistercienne pour bénédictine qu’elle soit, dont la seule fantaisie est un étonnant jubé et de non moins étonnantes fresques représentant une danse macabre.

Et bien figurez-vous que ce lieu éminemment austère a été squatté par des frères de Saint-Jean, dits « Petits Gris » ce qui déjà évoques la tonalité de leurs goûts en matière de décoration. Ces vandales n’ont rien trouvé de mieux que d’accumuler dans le chœur (et au pourtour) un ramassis de drapés pouilleux, de statues écaillées dont le plus souvent il ne subsiste des mains que la ferraille de l’armature, de bouquets fanés et autres merdasses qui invitent autant à la prière qu’un vide-greniers de quartier.

Mais s’il n’y avait que la Chaise Dieu !

Combien d’églises élégantes par elles-mêmes se trouvent encombrés de statues saint sulpiciennes, de Sainte Jeanne d’Arc, de Thérèse de Lisieux, de curé d’Ars peinturlurés.

Sans compter que le grand chic aujourd’hui, comme si ce débondement d’encombrants ne suffisait pas, la mode est aux icones (orthodoxes !) qui viennent dissimuler les quelques mètres carrés de la structure originelle encore visible.

Mais s’il n’y avait que les églises !

Car ne nous y trompons pas, ce goût pour la surcharge est à l’image du fatras de dieux secondaires qui viennent engluer la foi : et que je t’écrase sous les saint Glinglin, saint Trusquin ou sainte Trouducula. Et que je te les supplicie de la façon la plus épouvantable qu’il soit, les hagiographes, tels des cuisiniers étoilés, redoublant d’imagination en la matière, miam-miam, c’est bon, c’est bon, c’est bon…

Mais s’il n’y avait que les saints !

Au fatras de saints vient se mêler celui des dogmes histoire de bien vous cacher la vue si l’idée vous venait de vous adresser directement au Patron. Et c’est parti pour la Trinité, la transsubstantiation, l’infaillibilité papale, l’immaculé conception et l’assomption qui couronne la virginité de la mère, minimum syndical de tout mythe comme c’est le cas pour Horus né virginalement d’Isis, Khrisna de Devaki, et accessoirement Typhon né d’Héra.

Mais s’il n’y avait que les dogmes !

A toutes ces héroïc fantasy vient s’agglomérer le ramassis des miracles populaires (bien souvent canoniques), des hosties qui saignent, des possédés qui décollent avant de vomir des clous…

Allez j’arrête là ma diatribe bibelotphobique sinon c’est moi qui vais vomir et vous entrainer dans ma nausée.

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STAT ROSA PRISTINA NOMINE

NOMINA NUDA TENEMUS 

La rose des origines n’existe plus que par son nom,

et nous n’en conservons plus que des noms vides

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