PETITES GRAINES

C’est pas vrai !

Mais qu’est-ce qu’elle me racontait là, à moi à quatre pattes dans le bureau de mon père, à emballer quoi, je me le demande.

Elle, dans l’escalier, me toisant de la même perspective que lorsqu’elle me dérangera quelques années plus tard d’avec Claire, un soir…

C’est pas vrai !

Mais elle, tenace.

C’est le curé qui l’a annoncé.

Oui, ce devait être un dimanche matin, elle devait rentrer de la messe, tradition oblige, et moi, païen de peu, je me revois, bricolant sans vergogne sur ce tapis encore innocent.

Elle était passée par le garage, et, à peine entrée dans le bureau m’avait jeté la nouvelle avant de gravir six marches sur son élan comme pour mieux en évaluer l’ignoble effet.

Françoise

Hier soir

Cinéma

Chauffard

Fauchée

Traînée

20 mètres

Sur le coup

C’est pas vrai !

Demain, le lycée.

À l’époque, en quatrième c’était déjà le lycée.

Un lycée mixte, alors chose rare, une classe mixte, mais une seule table mixte, celle de Françoise et moi, au premier rang.

Les filles et les garçons étaient en nombre impair alors forcément.

Et puis Françoise c’était pas une fille, enfin, on n’était pas là-dedans, ni elle, ni moi, même si j’avais pris la main de Mireille pendant la retraite de communion, mais c’était plutôt comme quand j’avais gober un vers de terre en colo : faut bien prouver qu’on a du cran.

Une semaine bleue, une semaine jaune les blouses des filles qui se promenaient toujours par deux en se tenant par le cou ou par la main, en ricanant des garçons qui ne les regardaient même pas, d’abord !

Non, Françoise c’était pas une fille, on s’entendait bien.

Et puis on se parlait.

De choses graves sans doute.

Les choses sont toujours graves à douze ans.

C’est elle qui m’avait expliqué pour la petite graine. Elle le tenait de ses parents.

Nous remontions vers la gare pour attraper notre bus. Une petite rue si calme, juste devant chez Bénédicte, mais les petites graines avec Bénédicte comme pour Claire, ce serait pour bien après.

Tu sais comment on fait les enfants ?

Je ne savais pas.

M’étais-je seulement posé la question, nigaud que j’étais ?

La petite graine, c’était la première fois qu’on m’en parlait et j’ai tout de suite pensé que je ne pourrai en avoir que deux enfants !

Je le lui ai dit.

Elle n’a pas compris.

Je n’ai pas osé insister.

C’est pas vrai !

Lundi il y a eu un speech du principal.

Mardi le prof de math a dit à Delage de venir à ma table au premier rang au lieu de faire le clown au fond de la classe. Il est sympa Delage…

Mercredi on s’est bien marré à la récré.

Jeudi, je suis allé seul à mon cours de piano.

Ça m’a fait tout drôle.

Les portes à carreaux biseautés, les rideaux en velours frappé, le piano en palissandre, si loin, si loin.

Et Mado, reposant précautionneusement sa tasse de thé sur le bord droit du clavier, les yeux rivés sur la marquise ébréchée du perron, absente à mes couacs, dessinant de mots ce visage intact, savamment soustrait aux blessures par un bandage de tulle, substituant d’un coup dans ma mémoire l’image d’une gamine espiègle pour une sainte Thérèse enturbannée.

Rien n’impressionne la mémoire comme ce que l’on n’a pas vu et j’ai été surpris, il y a peu, de la retrouver en cheveux sur une photo de classe.

A la Toussaint dernière, laissant ma mère à son désherbage rituel, j’ai, en flânant, retrouvé sa tombe, à deux travées de celle de Francis qui, dix ans plus tard, ne vivra que peu de temps pour sa moto.

Sur les deux pierres en déshérence j’ai posé une tête de chrysanthème chapardée sur une prétentieuse potée voisine.

Ça m’embête bien un peu de ne pas lui avoir rendu son Clavecin bien tempéré, mais pour le nombre d’enfants, ça s’est arrangé…

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VIRTUS JUNXIT MORS NON SEPARABIT

Ce que la vertu a uni, la mort ne peut le séparer

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