Fin 83, douche écossaise :
– le 26 septembre ma grand-mère prenait le deuil de Tino Rossi.
– Un mois plus tard, jour pour jour, sortait Papy fait de la résistance et toute ma mythologie du héros paternel se cassait la gueule !
Mon analyste aurait aimé !
Peut-être devrais-je retourner faire un brin de décubitus dorsal sur son divan histoire de boucher quelques trous fâcheux dans ma narration.
Oui…
Et pour couronner le tout, cette même année était paru L’homme neuronal, ce mini pavé qui avait fait du bruit dans le Lacandernau de la psychanalyse, dont le fond de commerce est tout de même un sujet dit pensant, fut-il emberlificoté dans le discours prétendument sensé le constituer.
Notez que la mise en scène analytique est pour le moins cocasse puisqu’est allongé celui qui travaille, qui, de surcroît, paye pour ça un tiers qui somnole assis (à moins qu’insomniaque, il n’en profite pour rédiger sur le fameux sujet, une œuvre aussi logorrhéique qu’absconse.)
Mais on n’a que trop railler la psychanalyse qui pour finir n’a fait qu’entériner l’oubli contemporain du tu aimeras ton prochain pour se recentrer sur le comme toi-même, recyclé sous l’appellation développement personnel beaucoup plus accessible et par là plus vendeur.
Parlez-moi d’moi, y’a qu’ça qui m’intéresse comme chantait la Gréco, et si vous vous y refusez, j’irai payer quelqu’un pour m’en charger moi-même.
Alors imaginez ce sujet dit pensant devenu neuronal et dès lors directement soumis aux aléas de son cortex, réduisant à que d’chique ses déterminismes, ses traumatismes infantiles, et même sa mèèère !
Du tout fout l’camp ma bonne dame que j’vous dis !
A commencer par le business…
Mais c’était s’affoler pour bien peu : de même que la science n’a jamais eu raison de la foi qui, lorsqu’elle est bien établie, ne saurait que s’en étayer, de même donc le psychologique ne peut que gagner à s’appuyer sur un substrat neurophysiologique.
Il n’empêche qu’il m’est arrivé dans ma carrière d’être pour le moins épaté par des patients faisant montre de surprenantes modifications de leur caractère à la suite d’un accident de santé.
Ainsi cette femme hyperactive, carriériste, executive woman comme l’on dit, qui un jour, se déplaçant avec sa délicatesse coutumière, se prit un magistral billet de parterre, et se fractura doublement trois côtes. J’insiste sur le doublement, carcela provoqua ce qu’on appelle un volet costal et elle dut être mise en coma artificiel pendant trois semaines pour permettre une ventilation assistée le temps que ça se recolle.
Elle revint me voir étonnamment apaisée au sortir de cette épreuve.
– J’ai fait une rencontre me déclara-t-elle.
– Une rencontre ?
– N’allez pas vous imaginer (en a parte, je peux vous assurer que dans mon métier, contrairement à ce que précisément imaginent mes patients, je me garde toujours d’imaginer quoi que ce soit), n’allez pas vous imaginer un tunnel avec de la lumière au bout ou tout autre délire mystique du même tonneau. Non, une simple rencontre sans image avec ma finitude. J’ai l’impression, en relativisant les évènements qui surviennent, de m’être désencombrée, d’avoir décanté mes crispations.
Et voilà comment on perd une rente !
Histoire semblable, a contrario, d’un ami prêtre, certes bon comme du pain blanc, mais également rond et charpenté comme le sont les vins de garde dont on se réjouit du commerce avant qu’ils ne s’éteignent dans une douce fadeur.
Et puis survint un petit AVC – modeste comme lui – une brève perte de connaissance – une migraine éphémère – aucunes séquelles aux dires des médicastres.
Aucunes séquelles neurologiques certes, mais pour le caractère, un vrai désastre : lui si paisible, si conciliant, si attentif à chacun, soudain hargneux, colérique et pour tout dire mauvais, voire carrément méchant. Ses ouailles prirent un temps sur elles mais finirent pas déserter la paroisse. Heureusement, son Patron dut avoir pitié de l’un comme des autres et en quelques mois il recouvra sa bonne bonhommie.
D’autres, Deo Gracias pour la psychanalyse, mais Va de Retro Satana pour eux, n’ont pas besoin de ces épreuves pour devenir d’authentiques pisse-vinaigre ou pour simplement conduire à maturité le vilain vinaigre qu’ils ont toujours été. À croire qu’ils étaient issus d’un étrange cépage propre à donner un vin déjà aigrelet au sortir du tonneau.
Certains se bonifient avec l’âge mais en général, ils ont plutôt tendance à se malifier.
Je me souviens d’une voisine dont la méchanceté était à ce point notoire que c’est par elle que le mot virago s’était infiltré dans mes oreilles d’enfant. Il faut dire que ma grand-mère, qui savait elle aussi à ses heures être guère-bonne, la qualifiait allègrement de peste, garce, teigne et autre bourrique, enrichissant de façon fracassante mon chaste vocabulaire ; sans compter d’autres qualificatifs plus effervescents dont je perçus de façon quasi instinctive qu’il aurait été périlleux de les réemployer à visage découvert.
Il me revient d’avoir un jour entendu la commère s’écrier :
- J’ai tellement pleuré sur moi qu’il ne me reste plus de larmes pour les autres.
Bien des années plus tard, je pense avoir retrouver sa sœur de lait (caillé) dans un petit bar-épicerie-presse de bord de route où j’avais fait halte pour prendre un café et acheter le journal.
Et voilà que soudain une voix éraillée s’écrit :
- J’veux l’journal !
(Tout portant à croire qu’un bonjour et s’il vous plait laissant généreusement augurer d’un merci, avait été effacé du patrimoine linguistique de l’intruse).
– Pas de chance, dit la tenancière, je viens de vendre le dernier au monsieur.
– J’veux mon journal !
– Mais Mémère, je viens de te dire que j’en avais plus.
– J’veux mon journal !
Et moi, magnanime, d’un geste auguste dont Saint Vincent de Paul n’aurait pas rougi, je lui tends ma feuille de chou.
– Ah quand même !
Blaguant j’ajoute :
– Vous me donnerez les grands titres.
– Achetez-vous-en-un !
– Désolé Madame, mais vous savez bien que c’était le dernier.
– Z’aviez qu’à v’nir plus tôt…
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UBI MALOS PRAEMIA SEQUUNTUR
HAUD FACILE QUISQUAM GRATUITO BONUS EST
Quand les méchants sont récompensés, il est difficile de trouver quelqu’un qui fasse le bien de manière désintéressée