LA LAYETTE, NOUS VOILÁ !

Au final, il est bien regrettable que l’on ait supprimé le service militaire !

Certes c’était fort onéreux, non seulement pour le manque à gagner que représentait la mise au chômage de forces vives de la nation, mais surtout pour l’inefficacité totale du système. Mais je me garderai bien de m’étendre sur ce point, je laisse à madame Michu le soin de disserter sur cette évidence.

Et puis, reconnaissons-le, les histoires de bidasses que générait cette respectable institution, à en entendre nos aînés, auraient pu compenser l’irréparable disparition de l’almanach Vermot.

Mais, figurez-vous, moi qui vous écris, j’en ai des histoires de régiments !

Et je suis peut-être parmi les derniers survivants à pouvoir témoigner de cet univers ubuesque où l’on prépare nos vaillants soldats à mourir en héros au champ d’honneur à un âge où ils auraient préféré faire les cons en civil et papouiller la donzelle.

Étant sursitaire, je n’ai guère eu le loisir de me confronter à ce tant loué brassage culturel entre les appelés, mais le demi-siècle qui me sépare de cette aventure ne m’a pas encore permis de me remettre de l’inénarrable sottise des appelants dont on peut aisément prévoir qu’ils aient été et seront à jamais la source de toutes les calamités en cas de conflit.

Comme disait Clemenceau (Georges) :

La guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires.

Je vous épargnerai les méandres hiérarchiques qui m’ont fait passer d’interne en chirurgie à infirmier de nuit (précisément en chirurgie) et ce gratuitement (plutôt que bénévolement pour être précis concernant le vocabulaire) pour la simple raison que, n’ayant pas fait « mes classes », n’ayant jamais porté ni uniforme ni quelque arme de guerre qu’il soit, je n’ai jamais été initié au salut-manche-à-balais-dans-l’cul.

Or un jour il advint qu’au sortir de ma nuit, je ne sais quel gradé chargé de me verser ma solde refusa ma révérence toute versaillaise (que je n’aurais au demeurant pas dû lui faire, car contrairement aux us et coutume en usage, je n’étais pas déguisé en pioupiou mais revêtu de la blouse blanche de ma fonction). Bref le chefaillon me fit ressortir de son cagibi m’enjoignant de réviser ma chorégraphie, me fit ressortir une seconde fois toujours insatisfait par mes entrechats, et au final ne m’a jamais revu.

Caprice autorisé je dois le dire par la maigreur du pécule !

Mais, hormis cette soustraction à la munificence de l’institution, ce fut à maints égards l’occasion d’expériences ébouriffantes pour le rasé du caillou qu’on avait fait de moi.

Tout d’abord, rétrogradé dans mes fonctions et n’en déplaisent aux infirmières (mes respectables collègues de ce temps révolu), quelle sérénité face aux impondérables que de pouvoir prononcer ce mantra salvateur : « Appelez l’interne ! ».

Je ne dirai pas « rien à penser » ce serait insultant, mais tout de même : juste à panser, injecter, sonder, prémédiquer en suivant scrupuleusement le carnet de transmission.

Surtout pas d’initiative…

Et si ça cafouille ?

« Appelez l’interne ! »

Zen de fourmi besogneuse !

À propos de prémédication, puisque cela faisait partie comme il se doit de mes attributions matutinales dans un service de chirurgie, il arriva un jour funeste que l’une d’entre elles ne fut pas notée la veille sur le sus nommé carnet de transmission et que, en tant qu’infirmier de nuit, je n’avais, de ce fait, pas administrée.

Bien que n’ayant aucun reproche à me faire, je suis tout de même resté le matin pour attendre le chirurgien et assumer en solidarité avec l’équipe la responsabilité de ce que le planning des interventions allait s’en trouver modifié.

La réaction du colonel (titre accordé d’office à tout charcuteur de troufion) fut sans appel : « Vous serez puni ! ».

Pourquoi pas fusillé ?

Petit joueur le tripier…

Je vous ai dit précédemment ne pas avoir fait mes classes mais j’ai tout de même été contraint à quelques exercices de manœuvres au cours desquels j’étais autorisé à quitter ma blouse blanche pour une tenue inspirée de celle de la Wehrmacht, mieux adaptée à l’édifiant vautrage dans la gadoue, minimum syndical du futur héros.

Gadoue que nous ramenions pieusement dans les chambres des baraquements et que nous devions évacuer à grand renfort de raclette de ladite chambre au couloir, et du couloir à l’escalier, sur lequel nous la déversions avec allégresse. Cela nous contraignait, il va sans dire, à en récurer chaque marche en ciment jusqu’à lui donner le brillant du plus fin marbre de Carrare avant que la chambrée suivante ne vienne y déverser sa lie marécageuse.

Nous avions surnommé « kapo » le caporal (non chef) dans l’esprit duquel avait germé l’initiative de cette incommensurable crétinerie, mais jamais il ne s’offusqua de ce quolibet, trouvant sans doute ce pseudo affectueux tout ignorant qu’il était tant de l’orthographe que de l’histoire encore brûlante des camps.

Mais, triomphe mesquin j’en conviens, c’est tout de même à cette occasion que je fus témoin d’une colossale (et revancharde) action de sabotage.

J’ai, soit de façon innée, soit pour avoir étudié la musique et pratiqué moulte variétés de danse, un sens du rythme que je qualifierai d’honnête. Cela me conduisit, hélas, à marcher admirablement au pas, et je dois reconnaître que l’agilité que la danse sur glace m’avait inoculée m’aurait même permis, si tel avait été le désir de l’adjudant (chef !) quelque axel voire boucle piquée au pas de l’oie.

J’avais dans ma chambrée de sursitaires un colocataire musicien, pour ainsi dire professionnel, qui, non seulement avait pour sa part un sens du rythme touchant au divin, mais était de surcroît capable, en se soustrayant à l’environnement, de suivre le tempo personnel qu’il s’était assigné.

Cela se révéla d’une efficacité farouche lorsque l’adjudant (chef) lança notre cohorte : Gauche – Droite – Gauche – Droite, que nous suivîmes en bons moutons que l’on nous demandait d’être pour le cas où un abattoir aurait l’opportunité de se présenter afin de permettre à l’adjudant (chef) de se parer de médailles gagnées à la sueur de notre sang.

Mais il ne vit jamais hélas se dessiner cette perspective car mon colocataire, sitôt lancé notre 14 juillet à la mi-décembre, s’ingénia à mentaliser un très léger « adagio », qui, ralentissant sensiblement son transfert de poids du corps d’une jambe sur l’autre, contraignit le suivant à s’y régler, comme le fit le suivant du suivant mais en revanche, ni celui qui le précédait ni ses voisins directs ce qui eut pour effet, en moins de dix mètres, de provoquer un carambolage digne d’un retour de vacances aoûtien.

Hurlement de l’adjudant (chef) digne d’un adjudant (chef) !

Gauche – Droite – Gauche – Droite…

Adagio…

Re carambolage…

Gauche – Droite – Gauche – Droite…

Et l’on s’étonnera que les adjudants (chefs ou pas) s’adonnent à la boisson !

J’ai au demeurant calqué cette technique pour parvenir à ne pas mémoriser les chants militaires en fredonnant in petto l’Ave Maria de Schubert ou Nini peau d’chien.

Faut-il être bête !

Mais bon, on lutte comme on peut…

Au demeurant je n’étais pas vraiment un rebelle, juste un soupçon insolent (ce qui, je vous le raconterai quelque jour, m’a largement nuit pendant mes années de lycée…).

Bref, l’inertie étant la puissance du faible, surtout éviter tout affrontement (le qualifier de frontal étant, vous en conviendrez, un pléonasme), mais plutôt, par quelque comportement aussi scandaleux qu’irréprochable, saper la vertu militaire dont le maître mot en huit lettres est : « Virilité ».

Pour info, j’attendais à l’époque mon premier enfant, ou tout du moins m’y consacrais-je par solidarité avec la future mère de celui-ci en tricotant de la layette.

Étant affecté, en tant qu’ancien interne en chirurgie, à l’étage des officiers, j’attendais consciencieusement d’avoir achevé ma ronde pré-nocturne pour sortir ma chaise dans le couloir et là, au vu et au su de tous les gradés boiteux de notre belle armée française, m’attaquer à mon tricotage, la layette au lardon.

Scène touchante selon la dénomination militaire que, cette PSYPOS (Psychological operation) à l’aiguille à tricoter, grâce à laquelle la devise Travail – Famille – Patrie se trouvait soudain incarnée par la modeste témérité d’un seul de ses enfants !

Même un vieux maréchal aussi Pétaino-nostalgique que borgne en eut la larme à son œil…

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PAX MELIOR EST QUAM IUSTISSIMUM BELLUM

La paix est meilleure que la plus juste des guerres

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