– Bonjour Monsieur 33.
– Ah, bonjour François.
– Oh, vous avez l’air maussade. Rien de grave j’espère ?
– Non, rien de grave. J’ai simplement un ver d’oreille et ça m’énerve.
– Un bouchon de cérumen ?
– Non, un ver d’oreille. Vous ne savez pas ce qu’est un ver d’oreille ?
– Jamais entendu parler.
– Un ver d’oreille, c’est un air qui vous trotte dans la tête de façon obsessionnelle. Comme le disait Raymond Devos d’une rengaine : c’est un air qui vous rentre par une oreille et qui vous sort par les yeux.
Bref cette ritournelle m’agace et je n’arrive pas à la chasser.
– Et il n’y a pas de remède à cela ?
– La conversation et, paraît-il, mâcher du chewing-gum.
– Curieux en effet. Et c’est quoi votre vers d’oreille ?
– À bicyclette de Bourvil.
– Effectivement dans le genre scie, quand ça s’accroche ça tient bon.
– Mais elle répétait pleine d’ardeur
Que j’étais un coureur, coureur
– À bicyclette, pompompompom – pompom
– Je l’étais pas ça c’est couru
Mais alors je le suis dev’nu
– À bicyclette, pompompompom – pompom
– Et comme je courais vers le but
Voilà qu’em fait comme au début
– À cybiclette, pompompompom – pom – pom
– Je vois que nous avons les mêmes classiques.
– Avez-vous repéré Monsieur 33 que cette chanson est particulièrement polissonne ?
– Oui, tout le texte le dit.
– Je ne parle pas de tout le texte mais plus précisément de la fin.
– Et qu’est-ce que la fin a de plus polissonne que le reste ?
– Allez, on reprend :
Ah c’que vous êtes coureur
– Moi je n’suis pas coureur
– Ah c’que vous êtes menteur
– Moi je suis balayeur
– J’y redis en courant
Car j’continuais d’courir
Vers l’but à conquérir
Vous êtes au courant
Et c’est là que subrepticement se glisse :
Mais à forc’de courir
Parcourir, discourir
L’vélo s’est dégonflé
Et j’suis pas arrivé
Vous voyez ce que je veux dire ?
– Effectivement, je n’y avais jamais prêté attention.
– Dans les années 50, comme dans l’entre-deux-guerres, on savait insérer discrètement ce genre de gaudriole.
– Ce n’est pas bien méchant.
À ce propos, François, puisque ça me vient à l’esprit, faites-vous étudier El Desdichado par vos élèves ?
– Oh que non !
– Et pourquoi donc ?
– Ils n’y comprendraient rien et je dois bien avouer que je n’y comprends pas grand-chose moi-même :
Je suis le ténébreux le veuf l’inconsolé
Le prince d’Aquitaine à la tour abolie
Vous parlez d’une phrase ! Comment voulez-vous que des élèves de 3e y pigent quoi que ce soit ?
– Et bien, François, vous faites bien de ne pas faire étudier ce texte à vos élèves car à mon avis il est encore beaucoup plus coquin que celui de Bourvil.
– Vous blaguez ?
– Oh que non, je dirais même qu’il est carrément pornographique, tout du moins à mes yeux.
– Il va falloir que vous m’expliquer ça.
– Commençons par la fin :
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
– Et alors ?
– Eh bien, monsieur se vante d’avoir remis le couvert et nous allons voir qu’apparemment madame a bien apprécié.
Oh dis chéri rejoue moi z’en,
D’la trompette, d’la trompette…
– Comme vous y allez…
– Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Vrai que la trompette c’était un peu vulgaire !
Mais la lyre !
La clarinette j’veux bien,
Le piccolo – un peu minable,
Le basson – prétentieux.
Quant à l’hélicon (toujours Bobby) c’est direct le Kama Sutra !
Et pour finir :
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Ouah ! on peut dire qu’elle a pris son pied ; bravo mec !
– Ce sont les voisins qui ont dû apprécier !
Ceci dit, ça n’explique pas le reste du poème.
– Reprenons au début :
Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Si elle a connu la petite mort rien d’étonnant à ce qu’il se retrouve veuf !
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie
Pour le côté flaccide, on pouvait s’y attendre.
Pour la tour, un peu vantard non ?
Disons qu’il a l’échauguette flasque…
Ma seule Étoile est morte, et mon luth constellé
Luth-rut. Constellé-consterné… Coquille ou pas coquille ?
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Et voilà : post coïtum animal triste est, c’est bien connu…
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
Quelle « peau d’mon slip ? » aurait demandé Bobby Lapointe.
Suis-je Amour ou Phoebus ?… Lusignan ou Biron ?
Eros ou Apollon, rien que ça, môsieur ne se mouche pas du pied !
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
Ça commence par un bizou…
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène…
Et ça se termine par la zigounette dans le pilou-pilou comme disait Desproges
– Eh bien, ce Nerval, je ne l’aurais jamais soupçonné de se prendre pour Pierre Louÿs.
– J’exagère sans doute et il ne s’agit peut-être que d’un poète surréaliste en avance sur son temps.
– En tous les cas, les élèves n’y comprendront jamais rien ; et ce n’est pas aujourd’hui, surtout avec votre éclairage, que je vais m’y coller.
– Et pourquoi donc ?
– Pas envie de me retrouver en garde à vue !
– Dommage…
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DE OMNI RE SCIBILIET QUIBUSDAM ALIIS
De toutes les choses qu’on peut savoir et même de plusieurs autres.