DU CADRE

Sachez, ma chère Âme, qu’en matière de pédagogie j’ai toujours défendu l’idée du cadre dans l’éducation des enfants.

Je m’explique.

Mais auparavant, permettez-moi de poser le distinguo entre autorisé versus interdit, et possible versus impossible. J’y reviendrai.

Ainsi est-il autorisé de s’asseoir sur le canapé du salon mais interdit d’y sauter à pieds joints, surtout avec des chaussures boueuses.

Différent est le fait qu’il soit possible d’allumer une lampe (pour peu que cela soit autorisé) mais impossible de mettre les doigts dans la prise électrique comme il est impossible et non interdit de faire le cochon pendu à l’extérieur de la rambarde du 12e étage (comme du premier étage au demeurant).

C’est toute la pertinence de la formule il est interdit d’interdire chère aux manifestants de mai 68. Peu de gens ont saisi ce que cela impliquait, à commencer par un récent président de la République plus ambitieux que queutard et plus queutard encore que futé : Il est interdit d’interdire ne signifie en rien que tout soit autorisé, mais, qu’au lieu d’interdire les actions impossibles, il fallait éduquer ceux qui y sont confrontés pour qu’ils comprennent par eux-mêmes cette impossibilité.

Je reconnais hélas que la population est plus rebelle qu’encline à l’intelligence.

Ainsi, lorsque les ceintures de sécurité ont été installées dans les voitures, les pouvoirs publics ont précisément tenté de faire comprendre qu’il était de l’intérêt de tous de les utiliser. Vous savez comme moi que le il vaut mieux un petit clic qu’un grand choc fut un échec et que face à l’entêtement commun, le port de la ceinture de sécurité n’a pu se généraliser que lorsqu’on a menacé tout contrevenant d’une amende salée. La peur du gendarme n’a jamais été le début de la sagesse mais seulement la crainte de la sanction.

Et voilà comment, il est malheureusement interdit de rouler sans l’avoir bouclée alors qu’au regard des statistiques de la Prévention Routière, cela paraissait sagement impossible.

Alors pourquoi, au regard de ce que je viens de vous développer, vouloir imposer un cadre aux enfants ?

Eh bien pour limiter la transgression.

Vous n’êtes pas sans savoir que, tout du moins en Europe méridionale, les enfants, comme les adultes qu’ils seront devenus, n’ont qu’une passion dans la vie : repousser les limites que l’on a tracées pour eux.

Cela commence par mettre discrètement ses pieds sur le canapé et se poursuit par de non moins discrets excès de vitesse. L’avantage lorsqu’un cadre a été intégré, c’est que la transgression ne s’éloigne pas loin de ces limites et que, pour reprendre cet exemple, l’excès de vitesse sur l’autoroute se borne le plus souvent à un petit 140 voire 145 juste histoire de, sans pour autant risquer de se faire violemment flasher.

À contrario, lorsque les enfants n’ont pas eu de cadre, il n’y a, pour paradoxal que cela paraisse, plus de transgression possible et pour le coup tout est permis, ce qui conduit à une incompréhension totale de leur part par rapport à la nocivité de leurs actes.

Mais si je vous parle de cadre aujourd’hui, ce n’est pas pour défendre une théorie pédagogique qui aurait tôt fait de me faire passer pour un fasciste aux yeux des libertaires et pour un libertaire aux yeux des néofascistes.

En vous parlant de cadre ma chère Âme, je pense aux cadres dans l’art, ceux qui précisément encadrent les tableaux ou les photographies.

Tout artiste est déjà limité dans son expression par le format de la toile ou du papier photo, et, à mes yeux, tout œuvre d’art se trouve de ce fait étriquée quand elle ne demanderait qu’à s’épanouir. De là à l’encadrer, cela revient à proprement parler à l’emprisonner et tient de la double peine.

J’ai parfois l’impression, face à une œuvre magistrale, qu’elle s’accroche aux barreaux qui la contraignent. C’est particulièrement vrai pour les œuvres anciennes dont le sarcophage est le plus souvent constitué d’énormes moulures dorées qui les écrasent.

Heureusement, il se répand aujourd’hui un art de l’encadrement qui prône la discrétion et parfois même, s’autorise, tant sur cadre que sur le passe-partout, la reprise de certaines tonalités, voire même de motifs de l’œuvre qu’il met alors en valeur.

Tout un art, qui s’ajoute à l’art lui-même.

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DE MANE USQUE AD VESPERAM FINIES ME

Du matin jusqu’au soir tu fixeras mes limites

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APHORISME

Si certain ont une vie dissolue

je mène pour ma part une vie tristement solue

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