COIFF’RAIE

– Bonjour – Bonjour !

– Bonjour Uriel.

– Ah M’sieur 33, j’en ai marre des raies !

– Des raies ?

– Des raies par derrière.

– Des raies par derrière ?

– Tenez, aujourd’hui si vous voulez être branché ne dites surtout pas Magasin de Chaussures, surtout pas ! Faut dire Chausseraie !

Chausseraie ! Non mais j’vous jure…

Épicerie, pareil, complètement hasbeen ! C’est Gourmanderaie !

Pourquoi pas Bagnoleraie ou Cercueilleraie tant qu’ils y sont à en coller partout ?

– Ah, des raies, –raie en suffixe…

– Fixes ou agitées ça m’énerve, mais ça m’énerve…

– En tous cas, ce que vous dénoncez là me valut une gaffe monumentale.

– Une gaffe ?

– Une de ces gaffe Uriel !

Sachez que pour faire une bonne gaffe, il faut deux qualités, une positive et une négative :

  • être vif d’esprit
  • et distrait.

Je pense, génération imprimante laser, que vous êtes beaucoup trop jeune pour avoir connu, je ne parlerai pas des premiers incunables ni même de l’imprimerie et de ses rotatives, mais de ces petites machines installées dans les halls des centres commerciaux, genre Photomaton, grâce auxquelles on pouvait, pour quelques francs (nouveaux tout de même) se faire imprimer de petites cartes de visite ou professionnelles, voire humoristiques si vous aviez de l’esprit.

Cela n’a qu’un rapport lointain avec ce que je vais vous narrer mais c’est une introduction nécessaire pour comprendre la gaffe, la bourde, la bavure, appelez cela comme vous voudrez, la bévue que je commis à cause d’un de ces malheureux bouts de carton qui n’avait pas encore le format carte de crédit.

Bref, je me trouvais au centre une réunion de quelque importance, à savoir tout de même plusieurs centaines de personnes dans un coin reculé de Bretagne dont je n’ai gardé aucun souvenir, et il se trouvait par la même occasion que je faisais partie, n’en déplaise à ma modestie, de la dizaine de personnes que cette foule était venue écouter, admirer et, cela va sans dire, flatter comme il se doit.

Alors que je me pavanais devant une cour d’une demi-douzaine d’admirateurs, l’un d’entre eux, sans considération pour l’aura quasi mystique que me valait mon exposé, me tendit un de ces petits rectangles dont je vous ai parlé précédemment, rectangle auquel je jetai un coup d’œil incertain tout en poursuivant mon propos. Et c’est ainsi que dans une vision quasi subliminale, je pus lire sur ce cartouche l’inscription : Coiff’raie.

Vous connaissez ma perspicacité légendaire et ma capacité à penser à deux choses simultanément grâce à la division en deux hémisphères de mon encéphale. Bref, alors même que mon côté droit (ou gauche je laisse ça aux spécialistes) s’épandait en considérations de la plus haute élévation spirituelle, mon côté gauche (ou droit), perçu cette inscription, en analysa tout l’humour, et par un retour de volée dont je suis malencontreusement capable, voire coupable, conduisit jusqu’à mes lèvres cette répartie dramatique : Coiffe Raie, pourquoi pas Peigne-Cul ?

Las me direz-vous, pourquoi tant d’histoires pour un si misérable jeu de mots ?

Simplement parce que la carte en question n’était pas le moins du monde humoristique mais m’était bien tendue comme la carte professionnelle de cet admirateur, coupeur de cheveux de son état, et pas seulement en 4.

Je n’ai aucune idée de la façon dont je parvins à me sortir de cette gadoue mais je dus y parvenir.

Quelle idée aussi les merlans, perruquiers, coupe-tifs, figaros et autres capilliculteurs ont-ils de choisir pour leurs échoppes des noms aussi ridicules ?

– Capilliculteurs ?

– Desproges disait : on ne dit pas je vais au coiffeur mais je vais au capilliculteur, quand mon père affirmait : on va chez le coiffeur et on mène la vache au taureau

– Excellent, mais pour les noms, m’en parlez pas M’sieur 33 !

Au départ c’était les Coiff’ : Mimi’Coiff, Coiff’N’Go.

Après c’était les Tif : Infini-Tif, Défini-Tif, Tif-Annie

Le grand chic aujourd’hui c’est les Hair : Tête en l’Hair, L’Hair de pl’Hair, Beau de l’Hair.

Non mais je vous jure, pourquoi pas Grabat’Hair.

Quand je pense que ma copine Milène, vous savez comment elle l’a surnommé son salon ? Mill’N Hair ! Feignasse comme elle est, c’est plutôt Mol’Hair que je l’aurais appelée sa coifferaie.

– Molaire ?

– Molle – Hair

– Ah, Mol’Hair ! Ah oui, très drôle…

– Et si vous détestez autant les brushings que les mises en plis, allez donc vous faire coiffer chez Courant d’Hair !

Mais s’il y’avait que les noms M’sieur 33 ! Zyeutez un peu la déco des salons.

Tenez, y’en a un kitschissime à deux rue de chez moi. Je m’arrête prendre une photo pour faire rêver mes copines et voilà que la tenancière aussi kitsch que son bouiboui entrebâille la porte pour me gouailler :

Si voulez on coupe les hommes ! 

T’as le droit d’y croire ma chérie, que j’y ai répondu !

– Elle n’a peut-être pas entendu ce qu’elle disait.

– Vrai qu’les coiffeuses parlent à tort et à travers.

– Savez-vous, Uriel, que le pape a recommandé aux coiffeurs de limiter les potins.

– On voit bien qu’il est chauve !

– Loin de Desproges qui, à la question : comment je vous les coupe ? répondait : En silence, j’adore potiner avec mon capilliculteur et apprendre tout ce qui se passe dans sa rue.

Et puis, il ne faut pas ignorer que Simenon poussait systématiquement son héros Maigret à aller se faire couper les cheveux lorsqu’il arrivait dans une bourgade pour une enquête : pour le prix d’une coupe, il connaissait tous les ragots sur les gens du lieu.

– Bon c’est pas l’tout d’vous saouler avec mes histoires de bigoudis M’sieur 33, faut qu’j’y aille.

Chao, chao….

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NOMEN EST OMEN

Le nom est présage

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