J’ai fait, enfant, une expérience qui m’avait réjouie l’âme et dont je ne comprenais pas qu’elle provoqua un frisson d’effroi chez ma grand-mère.
Il s’agissait de prendre une pomme, de préférence une Golden, de dessiner dessus des yeux, un nez, une bouche, des oreilles et si possible des cheveux, et de la poser simplement sur une étagère. Au bout de quelques jours, elle se racornissait et le visage ressemblait progressivement à celui d’un vieillard.
J’en frémis aujourd’hui.
Pauvre grand-mère à qui j’avais un jour asséné, regardant ses pieds nus :
Ô Maminouchka, même vos pieds ils sont vieux !
Elle avait 53 ans !
Mais pour l’enfant que j’étais, une grand-mère est forcément vieille.
Pourtant la mienne avait ses élégances, ses Régé, ses permanentes (ou plutôt ses indéfrisables), son Rimmel sur lequel elle crachait, son rouge qui parfois émaillait ses vraies dents.
Et, alors que l’expression me semblait peu flatteuse, elle se pâmait lorsqu’on lui donnait du « mademoiselle ».
J’ai quelques fois croisé chez ma grand-mère, une sienne amie du nom d’Angèle.
Oh, je ne devais pas avoir dix ans et restais fasciné par son étole constituée d’un double renard qu’une agrafe raccordait par le museau, goupil probablement contemporain d’Ysengrin car aussi mité que le crâne de la dame.
Peut-être une gloire passée des folles années trente aurait dit Barbara.
J’avais appris, à l’école, les couleurs primaires que je pouvais alors me réciter :
- rouge pour les lèvres et les pommettes,
- bleu pour les paupières,
- et, malgré l’archipel de poudre agglomérée, jaune pour le reste de l’océan livide.
J’espère qu’un thanatopracteur audacieux aura su, le jour venu, rendre hommage à sa polychromie anthume.
Mais ce qui me fascinait, comme un écho aux boucles d’oreilles de gitane en or à filigrane, c’était toute une moitié gauche du maxillaire supérieur aux dents pareillement aurifiées (et par là horrifiantes). Maxillaire rutilant qui, lorsqu’il se désemboîtait de la gencive inférieure désertée, laissait filtrer une voix de rogomme, sculptée elle aussi à la gitane, qui égrenait les mille et un soucis de constitution de ladite Angèle.
Fallait-il qu’elle ait une santé de fer pour résister à toutes ses maladies !
C’est à ce moment que ma grand-mère, compatissante, lança un :
Pourtant, tu as bonne figure !
Pourtant, tu as bonne figure !
Un spray de petits beurres à peine concassés fusa d’entre mes lèvres tandis que les larmes d’une irrépressible hilarité me ruisselaient jusqu’entre les orteils.
Pourtant, tu as bonne figure !
La jeunesse est sans pitié…
Souviens-toi plutôt, insolent gamin, qu’avant d’être gratte-cul, ce cynorrhodon polychrome fut sans doute, comme toi, une pâle églantine.
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DELICTA JUVENTUTIS MEÆ
Les fautes de ma jeunesse