C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine
Verlaine aurait pu s’en trouver inspiré, mais que Pierre ait décidé de prendre un raccourci sur la vie m’a mis l’estomac dans un vrac des plus conséquents, avec troubles somatiques collatéraux.
Bon bref, un peu comme un chouia de début de cancer minimum généralisé, et puis c’est fou comme on devient soucieux de sa bécane dans ces moments là.
Et donc, hop, ce matin je file au labo.
Pas de secrétaire, jamais arrivé en 30 ans m’assène la tenancière qui me prélève quand même du bout du tube.
Mais pour l’administratif faudra repasser.
Repassage donc une heure plus tard après un petit déjeuner au chausse-pied rapport à l’imbroglio gastrique, et là, abracadabra, réapparition de la secrétaire !
Même pas bonjour la conne.
Ah le petit personnel !
Docile je me laisse carte vitaliser, à peine un mot, tout juste si elle me lâche :
– Avec trois boites de somnifères j’aurais pas dû me réveiller !
– Euh, vous plaisantez ou quoi ?
– Non !
– Bon…
Blanc…
Et là, bing, je fonds en larme.
Et là, bing, voilà qu’elle s’y met aussi, et que sa frappe déjà très incertaine flirte avec le parkinson.
La foule commença à s’impatienter mais nous on s’en foutait, le labo ne faisait plus qu’un mètre carré.
On a encore attendu un peu…
J’ai fini par me lever, je lui ai fait la bise et j’ai branché mes essuie-glaces avant de traverser le boulevard à tâtons et d’attaquer l’escalier de mon immeuble où le béjaune plutôt hâlé de remplaçant de concierge tirait la gueule.
– Bonjour, ça n’a pas l’air d’aller – lui lancé-je imprudemment bien qu’échaudé.
– Y a un connard qui m’a défoncé mon pare-chocs avant et qu’a même pas laissé un mot !
Heureux homme ravagé par semblable fracas !
– Oui il y a de quoi !
– Et puis l’aspirateur ça me fait chier.
– Chacun participe à son échelle à l’œuvre d’Allah !
(Dis-donc que j’me dis, t’aurais pas un peu forcé sur la pastille Rennie ?)
– Faut pas blasphémer !
Pas si pare-choquien que ça le mec.
– Mais je ne blasphème pas :
- quand la moquette est sale, je suis contrarié,
- et quand je suis contrarié, ça me fout l’estomac en l’air et patatras le moral suit.
- et quand j’ai mal au bide plus le moral en l’air, je suis beaucoup moins attentif aux doléances de mes patients, je les écoute à la va-comme-j’te-pousse et mes prescriptions sont périlleuses.
- eux-mêmes s’en trouvent alors chagrin,
- les conséquences les plus funestes sont derechef à craindre et par ricochet
- le Créateur, Ses créatures et Sa création toute entière risquent de partir à vau-l’eau.
Alors, jeune homme, considérez sans modestie que, bien que de façon voilée aux yeux du profane, le sort de l’humanité entière repose sur les épaules de cet aspirateur que l’Éternel a mit entre vos mains expertes.
Bon assez déconné je vais être à la bourre.
Et puis ne vous marrez pas, c’est du sérieux !
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A CANE NON MAGNO SAEPE TENETUR APER
Souvent le sanglier est arrêté par le petit chien
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APHORISME
Tout quitter
Tout oublier de ce monde
Et réapprendre le prénom des plantes