SAMBRE ET MEUSE

– Bonjour Paul-Henri.

– Bonjour Monsieur 33.

– Oh, vous m’avez l’air bien maussade…

– Je sors d’un concert.

– Et bien cela aurait dû vous mettre du baume au cœur.

– Que nenni Monsieur 33 !

Savez-vous ce que c’est que de martyriser en toute impunité un prélude de Bach ?

Savez-vous ce que c’est que d’exécuter, au sens propre du terme, une sonate de Beethoven ?

– À ce point ?

– À ce point Monsieur 33. Il y a des pianistes qui devraient se mettre au triangle.

– J’imagine qu’il doit être difficile de transcrire un nocturne de Chopin pour triangle !

– Et pourquoi pas Monsieur 33 ?

– Pourquoi pas en effet. Mais cela risque d’être aussi gouleyant que la méditation de Thaïs à l’hélicon ou que la 5e symphonie de Mahler pour cornemuse et djembé.

– A ne me parler pas de cornemuse !

– Aurais-je gaffé ?

– Rien de plus horripilant à mes oreilles que cette outre qui ne reprend jamais son souffle, ne serait-ce que pour nous permettre de reprendre le nôtre. Si le silence qui suit Mozart est encore du Mozart, on comprend mieux pourquoi le Wolfgang n’a jamais composé pour cette baudruche carminative.

– Je ne vous jetterai pas la pierre Paul-Henri, je n’en suis pas non plus fan. Je repense souvent à cette aphorisme d’Oscar Wilde : Un gentleman est un homme qui sait jouer de la cornemuse et qui n’en joue pas. Et je vous accorde que la musique n’adoucit pas toujours les mœurs.

– Particulièrement les marches militaires, qu’il écoutait en se tapant les culs par terre comme disait Brassens

– A moins de retranscrire Sambre-et-Meuse pour flûte traversière et clavecin

– Ah, en parlant de Sambre et Meuse, figurez-vous Monsieur 33 que pas plus tard qu’hier, bloqué dans les embouteillages, j’écoutais France-Musique dans un état quasi hypnotique, submergé par la problématique visant à déterminer s’il fallait placer la syncope d’entrée au niveau du Mi ou s’il fallait retenir son souffle jusqu’au Sol quitte à majorer l’instabilité de l’arpège, comme pour présager de la mise à mal de la mesure suivante par l’apparition du Fa dièse quand on sait l’instabilité harmonique de l’accord de Ré dièse diminué, voilà que je fus tiré ex abrupto de ma torpeur musicologique par un strident t’avance connard proféré par des cordes vocales dont la dysharmonie présageait tacitement de la contrariété du vaillant militaire en treillis qui en faisait usage à mon endroit, et qui, par cette injonction salutaire, m’intimais de régler illico presto le tempo du 1er prélude sur celui de Sambre et Meuse, tempo somme toute plus propice au bon déroulement de la conduite automobile.

– Tous les goûts sont dans la nature Paul-Henri, et je vous accorde qu’il en résulte ipso facto une certaine dysharmonie sociale. Mais gardons-nous humblement de traiter de vulgaire celui qui ne partage pas nos passions.

– Vrai qu’en retour ce nigaud qui pourrait me qualifier de snobinard ne pourra jamais, dans son insignifiance, goûter au plaisir d’initié qu’il y a à se gratter les burnes en écoutant, toujours sur France-Musique, le Kyrie du Requiem Opus 328 en Ré mineur de Vladislav Storknech par l’orchestre philharmonique de Brugerschlach et les chœurs de la Bislingue Kirche sous la direction d’Igor Ostackenoff.

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TRAHIT SUA QUEMQUE VOLUPTAS

Chacun suit ses penchants

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