HYBRIS (+) TIMIDE

(Ces deux textes s’enchaînent et je les ai donc regroupés)

.

(Premier texte : HYBRIS)

.

– Bonjour monsieur 33, j’ai appris un nouveau mot !

– Oui ?

– Hybris ! Prononcez hubris

– Tout arrive…

– Moquez-vous !

– Que nenni ! Et alors ?

– La démesure ! Le plus grand péché chez les grecs, vouloir se faire l’égal des dieux.

– Le fameux Connais-toi toi-même !

– L’introspection ?

– Surtout pas, rien à voir avec l’horripilant nombrilisme du j’ai fait un travail sur Moâ.

Tout le contraire en fait n’en déplaise aux narcisses post new âge : le γνῶθι σεαυτόν (gnỗthi seautón), le connais-toi toi-même inscrit sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes invite à respecter sa place dans le monde et l’univers et non à s’en croire le centre, voire l’origine, comme le font la majorité de nos contemporains.

– Vous m’étonnerez toujours.

– Je ne suis pas là pour ça. Pourquoi me parlez-vous soudain de l’hybris ?

– À cause des 7 péchés capitaux. Vous voyez ?

– Euh, oui et non, mais vous allez m’éclairer.

– Les 7 péchés capitaux ne sont pas à la base des péchés en soit, c’est l’hybris qui les anime qui les rend peccamineux.

– Peccamineux !

– Oui, qui en fait des péchés.

– Expliquez-moi.

– Rappelez-vous : Gourmandise, Luxure, Avarice, Envie, Orgueil, Colère et Paresse.

– Quelle mémoire !

– J’ai un moyen mnémotechnique, je vous en parlerai tout à l’heure. Donc :

Être gourmand, ou plutôt gourmet est respectable, mais goinfre relève de l’excès !

– Je sens poindre l’hybris !

– Aimer l’amour et le sexe, rien de plus naturel, mais il y a un pas avec la luxure.

L’Économie est une sage disposition entre l’avarice et la prodigalité.

Si le désir est le moteur de l’âme, l’envie la ronge.

Et il n’y a qu’un pas entre avoir l’esprit d’entreprise et le goût du pouvoir, ce qui nous mène tout droit de l’amour propre à l’orgueil,

– Quasi synonyme de l’hybris au final…

– Jusqu’à ce que cette quête hybrissienne oserais-je dire soit une source de frustration génératrice de colère.

Et voilà un cheminement qui, loin de conduire à la plénitude nous plonge dans l’acédie, cette fatigue de soi et du monde que l’on a malencontreusement traduit par paresse, glissement sémantique dommageable s’il en est.

Un seul mot vous manque et tout est dépeuplé !

Avec cette simple acquisition, vous voilà tout soudain sacrément habité !

– Vrai, ce terme d’Hybris était vraiment un chaînon manquant à ma cogitation permanente.

– Excusez-moi de sauter du coq à l’âne, et non l’inverse, mais comment faites-vous Monsieur Hybris pour vous souvenir des sept péchés capitaux ? Pour le pauvre béotien que je suis, il en manque toujours un, quand ce n’est pas deux voire trois !

– Là j’ai un truc infaillible : les âges de la vie.

– Quatre pattes, deux pattes, trois pattes ?

– Refoulez votre Œdipe Monsieur 33, c’est beaucoup plus simple : le premier plaisir de l’existence est oral : tétine ou téton. D’où la Gourmandise

– Bon début

– Puis surgit l’invasion hormonal d’où sexe d’où la Luxure…

– Jusque-là je vous suis.

– Mais l’argent et l’Avarice qui s’y tricotent viennent tout pourrir.

Montagne sans sommet ou puits sans fond, ce goût pour l’argent est rongé par l’Envie que seul l’Orgueil peut contrer par le frêle maquillage de l’autosatisfaction et du mépris.

Péché des péchés s’il en est, péché qui ne trompe personne, pas même l’orgueilleux, pauvre roi nu que tout regard d’évidence conduit à la Colère.

Certains en restent là, dindons jusqu’au dernier souffle, méditant une épitaphe grandiose à gaver sur le monument non moins grandiose dont le vent et la pluie auront rapidement raison.

D’autres s’effondrent avant la ligne d’arrivée, écrasés par la vanité du monde et sombrent : Acédie – Assez dit…

– Enchaînement fatal ?

– Non, il y a la voie de l’humilité avant l’humus. Fuir l’hybris et sans crainte se soumettre au monde

– Μηδὲν ἄγαν (Mêdèn agan), rien de trop, la suite de l’inscription que l’on oublie trop souvent.

– C’est cela !

– Dur programme ! Ne craignez-vous pas que l’humanité rebute à se soustraire à ce toujours plus inscrit en lettre d’or sur nos temples de la consommation ?

– O tempora , ô mores ! Vrai que la Chouette d’Athéna a pris un sacré coup dans l’aile…

.

ABUSUS NON TOLLIT USUM

L’abus n’exclut pas l’usage

.

(Second texte : TIMIDE)

.

– Bonjour Monsieur 33.

– Monsieur Hybris !

– Moquez-vous…

– Savez-vous que j’ai longuement cogité sur votre moyen mnémotechnique pour retenir les 7 péchés capitaux, et cela m’a renvoyé à une technique personnelle pour me souvenir du nom des 7 nains.

– Ah ça, comme vous pour les péchés, il m’en manque toujours un ou deux…

– En fait je les associe par paires ce qui en anglais renvoie en outre à de belles assonances :

Prof et Simplet, Doc & Dopey, ce qui va de soi.

Grincheux et Joyeux, Grumpy & Happy, idem.

Atchoum et Dormeur, Sneezy & Sleepy : le premier tonitruant comme un coq au lever du jour quand l’autre reste en retrait du monde. J’ai hésité un temps à les conjoindre et au final c’est leur nom anglais qui m’a convaincu.

Et enfin Timide, Bashful, qui reste mathématiquement et phonétiquement seul.

– Si je vous suis bien, au final Timide serait un genre d’hapax.

– Oui, et tout cela à cause de sa crainte, timor qui est à l’origine de son nom. Grâce à lui, et pour rejoindre votre précédent propos, on pourrait presque dire que la timidité est l’antonyme de l’hybris.

– La carence est-elle préférable à l’excès ?

– Que non ! Dans la mesure, comme nous l’avions évoqué, où la vertu est un juste milieu, un mediotes comme disait Aristote, Timide est à mes yeux le plus pathétique des 7 nains : ni héros ni même anti-héros, le voilà refoulé aux marges de l’action.

– Et ça se soigne Docteur ?

– Vous croyez me charrier mais vous levez un sacré lièvre : le timide craint, nous y revoilà, de ne pas renvoyer l’image idéale qu’il se fait de lui-même, ce qui, paradoxalement, fait de la timidité le comble de l’amour propre et confine à l’orgueil.

– Excusez-moi, mais j’ai du mal à vous suivre.

– Vous avez sans doute remarqué que certains ont les plus grandes difficultés avec la sentence : Tu aimeras son prochain comme toi-même, tirée du Lévitique (19,18) et reprise par Jésus.

– Vrai que cela implique déjà de s’aimer soi-même !

– Oui et non. Timide à une si piètre image de lui-même, qu’il ne pourrait concevoir cette magnifique évidence.

Mais il fait là, comme beaucoup au demeurant, une confusion majeure sur l’idée de s’aimer soi-même. Autrement dit, il confond d’entrée l’amour de soi, autrement dit l’amour de conservation, et l’amour propre.

– Doucement Monsieur 33, doucement…

– Lorsqu’on me lâche cette phrase inepte : Prends soin de toi, j’ai coutume de répondre : Compte tenu du fait que je suis la personne que j’aime le plus au monde, je vais m’y appliquer.

Cela pour dire que, loin de me prendre pour Dieu, j’ai tout naturellement pour moi un amour légitime de conservation : je prends garde à ce que je mange, je traverse les rues lorsque le feu est rouge, je suis conciliant pour éviter les conflits, etc.

Vous me suivez ?

– Je m’accroche.

– À partir de là, l’amour de soi ou amour de conservation que je me porte, je peux également le porter à mon prochain : aider ceux qui en ont besoin, protéger les plus faibles, partager les dons des généreux, me réjouir avec ceux qui se réjouissent, pleurer avec ceux qui pleurent…

Il en va tout autrement de l’amour propre : celui-ci implique, parfois inconscient, la nécessité de se comparer et d’avoir une image de soi supérieure à l’image qu’on a des autres, autres qu’il va dès lors falloir écraser : être le plus beau, le plus fort, le plus intelligent, le plus riche, et, par-dessus tout, être le plus séduisant et se soucier du qu’en dira-t-on.

– Mais cela confine à l’orgueil !

– C’est bien à tout le paradoxe en effet : dès qu’un individu a une mauvaise image de lui-même, il pense qu’il ne peut pas s’aimer et ne peut donc pas aimer les autres. C’est confondre cet amour narcissique avec l’amour d’égal à égal du prochain.

– Et vous pensez que Timide se cache faute d’être reconnu comme un crac ? Peut-être est-il simplement modeste.

– Le refus des louanges est un désir d’être loué deux fois prétendait La Rochefoucauld.

– C’est vraiment sans issue…

– Rassurez-vous, je pense qu’entre ces deux extrêmes il y a une place pour l’estime de soi.

-Rien que ça !

– Rien n’interdit en effet d’être content de ce que l’on a fait, de se réjouir d’un plat que l’on a préparé sans se croire un grand chef, de trouver un dessin que l’on a réalisé ou un bricolage plutôt réussi sans se prendre pour un artiste ou un pro, et de se réjouir du déroulement de sa vie en général.

Bref, il n’est pas interdit d’être satisfait sans pour autant tomber dans la fierté.

Autrement dit, dans la mesure où l’estime de soi s’inscrit entre les deux pôles de l’amour de soi et de l’amour propre, il va falloir veiller à la position du curseur.

– Nous voilà revenu au comme soi-même du tu aimeras ton prochain

– En quelque sorte. Et, comme le disait Montaigne, c’est une belle chose que d’être en amitié avec soi.

– A vous entendre, Monsieur 33, je pense que Timide pourrait s’en sortir.

– Comme tous ces timides qui souffrent faute, simplement, de reconnaître ce qu’ils valent.

En toute modestie s’entend…

.

VAE PUTO DEUS FIO

Malheur, je crois que je deviens Dieu

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *