Il y a foule dans cette salle à manger d’hôtel parisien, comme si les remontées mécaniques ouvraient dans une demi-heure. Inutile de partir en Papouasie-Nouvelle-Guinée ou au fin fond de la Cordillère des Andes pour s’adonner à l’ethnologie. Une simple cantine peut faire l’affaire pour peu que l’on y soit suffisamment bien réveillé pour avoir l’œil affuté.
Bien sûr il y a thé ou café, chocolat et/ou jus de fruit, lait-pas lait, sucre-pas sucre, voire aspartam.
Il y a les parcimonieux qui font des va et vient et ceux qui surchargent un plateau qu’ils ne finiront pas.
Il y a les festifs croissant-brioche, les charcuterie-œufs brouillés inhabituels et les tradis fidèles à la baguette beurrée.
Et parmi ces derniers, se distinguent ceux qui trempent des tartines qu’ils ont tartinées à l’avance de ceux qui les garnissent à mesure qu’ils les croquent à sec.
Mais je vénère tout particulièrement ceux qui lèchent la capsule des yaourts, cette merveilleuse parcelle qui annonce la suite, parcelle plus savoureuse que la suite elle-même.
J’ai par ailleurs remarqué que ceux qui s’octroyaient croissant ET baguette, commençaient toujours par le croissant. C’est plutôt bon signe : toujours commencer par ce que l’on préfère car rien ne met à l’abri d’un infarctus importun, d’un incendie farceur ou d’une attaque terrorise inqualifiable. Voire, chez soi, d’un ami de passage qui prendrait un yaourt dans le frigo, et qui, par gentillesse, choisirait celui qu’il aime le moins qui se trouve être précisément être celui que l’on préfère.
A propose de yaourt, j’ai été estomaqué, c’est de circonstance, par la composition celui que j’ai pris ce matin au petit déjeuner.
Je pensais naïvement que l’on fabriquait les yaourts en mettant des ferments dans du lait et en maintenant le mélange au tiède pendant quelques heures.
Que nenni mon bon !
Cette méthode est réservée aux minus habens, ceux qui reçoivent la Parole de Dieu comme elle leur est offerte.
Il y a une méthode de fabrication beaucoup plus alambiquée (comme, au demeurant, de recevoir la Parole).
Ainsi ai-je pu lire sur l’étiquette :
Ingrédients : lait écrémé à base de poudre de lait – lait écrémé – crème -poudre de lait écrémé – ferment lactique.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Pourquoi prendre du lait entier liquide alors qu’il est infiniment plus logique de prendre du lait écrémé, et d’y rajouter de la crème, de l’eau et du lait en poudre !
Quant à la crème dessert ! (Lait entier, lactose et minéraux du lait, sucre, eau, poudre de cacao maigre, amidon modifié, (re)lactose, émulsifiant : E472b, épaississants : E407 – E415 – E401, gélatine, (re) minéraux du lait, arôme, colorant : E150b)
Cela m’a fait penser à la gnose, cette théorie philosophico-religieuse qui prétend que la connaissance des choses divines serait cachée et de ce fait réservée aux seuls initiés capables de les décrypter.
Exemple : l’acronyme INRI inscrit sur le titulus, le panonceau accroché sur la croix au-dessus du Christ, est sensé signifier en latin Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum, ce qui marche également en français, sachant que le I vaut le J : Jésus de Nazareth, roi des Juifs. Vous pouvez voir ça dans toutes les églises qu’elles soient catholiques ou orthodoxes.
Eh bien certains cercles occultes, alchimistes, Rose-Croix ou francs-maçons, y ont lu Igne Natura Renovatur Integra qui, peut se traduire par : la nature se renouvelle dans son intégrité par le feu.
Bande de ploucs qui n’aviez rien compris ! On voit en cela que vous ne faites pas partie de la bande…
Et c’est là que j’en reviens à mes yaourts matutinaux dont on a si savamment décrémé et recrémé le lait après l’avoir déshydraté et réhydraté.
Car on reconnaît en cela la technique de certains gourous qui vous embrouillent une idée simple, vous la débrouillent en remontant le chemin par lequel ils l’avaient subvertie et vous la vendent au prix fort.
C’est ce que je me plais à appeler l’effet Sudoku : leurs concepteurs prennent une grille complète et en cela lisible, enlèvent les trois quarts des chiffres et vous demande de vous escrimer pour retrouver un message préexistant, au demeurant d’aucun intérêt.
Ceci dit, avant de me moquer de ces Diafoirus en pack de six qui pensent comme des fabricants de yaourts, je ferais bien de balayer devant ma porte, ce qui me permettrait de voir la poutre dans mon œil avant la paille dans celui de mon voisin. Car je dois reconnaître que j’ai pour l’exégèse biblique un goût pour le moins abusif, oubliant de faire mienne cette louange :
Je te bénis Père d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents, et de l’avoir révélé aux tout-petits. (Mt 11,25)
Quant à la composition des yaourts, mieux vaudrait également que je ne creuse pas…
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SIMPLEX SIGILLUM VERI
Le simple est le sceau du vrai