– Bonjour Monsieur 33.
– Ah bonjour Paul-Henri.
– Chance que vous m’ayez entendu avec ce bruit.
– Vrai qu’il existe des voitures bien bruyantes.
– Mais à certaines l’on pardonne.
– J’aimerais savoir lesquelles !
– Les Ferrari par exemple.
– Et pour quelle raison pardonnerait-on davantage à une Ferrari qu’à une voiturette sans permis ?
– Question de classe Monsieur 33 ! Que dis-je de classe, d’aristocratie !
– Vous me faites rire Paul-Henri, mais en même temps vous me rappelez ce que m’avait raconté un de mes amis.
Il se trouve qu’il possède une maison de campagne et dans cette maison de campagne une vieille Renault dont il use en particulier pour aller à la déchèterie. Un de ses voisins pour sa part ne possède pas moins qu’une Ferrari Testarossa, rouge comme il se doit. Vous savez comme moi qu’une Ferrari ne sert à rien mais que c’est en revanche très exigeant, comme tout objet de luxe, et impose de rouler régulièrement pour ne pas s’abîmer. Régulièrement donc, le voisin de mon ami promène sa Ferrari, je dis bien « promène sa Ferrari » et non « se promène EN Ferrari », ceci dans le seul but de lui dégourdir les soupapes.
A plusieurs occasions, mon voisin se retrouva bloqué sur un chemin vicinal derrière ladite Ferrari que son voisin titillait avec parcimonie eut égard à la voracité du monstre. L’envie aurait pu lui venir de la dépasser, mais une Ferrari, Paul-Henri, ça ne se double pas, surtout avec une vieille Renault transformée en tombereau.
Respect !
– Votre anecdote est plus noble que la mienne Monsieur 33.
– Mais encore ?
– Figurez-vous que je devais aller à Nantes avec un copain qui vient de s’acheter un coupé Bentley.
– Mazette !
– Mais nous avons craint que les gilets jaunes la cabossent.
– Vous m’étonnez !
– Une caisse à trois cents mille boules ç’aurait été dommage.
Alors on a pris sa Ferrari.
– Sa Ferrari ?
– Eh oui Monsieur 33, comme vous venez de le dire, une Ferrari, même à l’arrêt, ça inspire le respect à la plèbe.
– La plèbe, pourquoi pas les gueux tant que vous y êtes !
– Gouaille pour gouaille
– Pourquoi me parlez-vous de gouaille ?
– Avez-vous remarqué la nature de la voix d’un syndicaliste
– Particulier en effet, mais qu’y peuvent-ils ?
– Détrompez-vous Monsieur 33, je suis sûr qu’une voix comme celle-là se travaille.
Ma fille est orthophoniste et je lui ai conseillé de se spécialiser en OPS à savoir : Orthophoniste Pour Syndicaliste.
– Et ça consisterait en quoi ?
– Et bien à enseigner à n’importe quel pékin qui aurait une voix standard à prendre une voix de syndicaliste.
– Et comment envisageriez-vous cette « rééducation » ?
– Pas simple croyez-moi mais il y a quelques techniques de base.
D’abord descendre sa voix de deux tons au minimum et ensuite avaler tous les sons et surtout les r de façon à avoir une prononciation gutturale. Ça vous donne une voix de rogomme avec le r de radical prononcé à la manière de la jota espagnole, un premier a caverneux et le second virant très subtilement sur le è, car la voix de syndicaliste se doit d’être toute en subtilité et ne surtout pas être confondue avec celle d’un titi parisien de films de l’entre-deux-guerres.
– J’essaie : Rrrâdiquèl. Joli…
– Mais ça ne s’arrête pas là !
Il faut aussi travailler le rythme du phrasé et le vocabulaire, les intonations, les pauses, les euh, les ouais et surtout apprendre à doser les fautes de français indispensables.
– A ce point ?
– Pour reprendre l’exemple de radical, vous et moi dirions :
Les français ne sont pas (z)assez radicaux.
Le syndicaliste se doit de dire :
Les français, i sont pahassez radicals.
- D’abord couper la phrase pour rompre avec l’élocution bourgeoise,
- Marquer le lien populaire en abrégeant le il en i,
- Surtout penser à supprimer le ne de la négation,
- Ne jamais faire de liaison façon pas (z)assez,
- Et parachever l’œuvre en insérant cette discrète mais pertinente faute d’accord (radicals) qui laisse à penser que vous vous êtes formé sur le tas.
Croyez-moi monsieur 33, Les français, i sont pahassez radicals ça demande du boulot mais ça vous pose son syndicaliste !
– Mais enfin Paul-Henri, les syndicalistes n’ont pas eu besoin de ce type de travail pour avoir cette voix-là.
– Certes. Mais auparavant ils se la faisaient à la Gitane Maïs. Astucieuse complicité avec le petit peuple mais ce n’était pas sans danger et de surcroît le look Lucky Luke, aujourd’hui, n’est plus porteur. Et puis surtout, revenu dans le monde normal, ils ne pouvaient plus reprendre une voix normale.
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LABOR OMNIA VINCIT IMPROBUS
Le travail opiniâtre vient à bout de tout