Bonsoir mon Âme.
Quel beau mot que ce mot Âme !
Mais quelle difficulté dans sa définition…
On dit que le français est une langue merveilleuse, mais, au final, elle est beaucoup plus pauvre qu’on ne le croit. Ainsi ne possède-t-elle qu’un seul mot pour amour quand le grec ancien en a trois comme il en a trois pour le mot vie.
Mais rassurez-vous mon Âme, je ne vais pas vous faire un cours, je ne suis ni philosophe ni théologien. Tout au plus, suis-je tenté de vous partager la représentation que je me suis faite du monde à partir du vocabulaire qui m’était proposé.
Ainsi, comme je vous le disais, et comme vous le savez sans doute, le mot amour s’exprime-t-il en grec par Eros, Philia, et Agapè, mais surtout, ce qui m’intéresse aujourd’hui, le mot vie dispose-t-il lui aussi trois termes : Psyché, Bios, et Zoé.
Ces mots ont eu du mal à être traduit en français et ce que je vais vous en dire ne reflète que l’idée que je m’en fais à titre personnel.
Psyché, que l’on traduit en latin par anima, très beau terme à mes yeux, et précisément par âme en français, représente pour moi le niveau un de la vie, à savoir l’animation. Il y a un monde inanimé, minéral en l’occurrence, et puis le monde animé. Le premier stade de notre existence repose sur cette simple animation.
De là, toujours dans l’idée que je m’en fais, nous allons nous construire une vie, et, à partir ce mot bios, une biographie. Nous allons enchaîner des événements d’action.
Reste à savoir le sens que peut avoir cette agitation. Et c’est précisément la richesse du mot Zoé qui renverrait à sens de la vie si tant est que la vie en elle-même ne soit pas une fonction de sens.
Mais revenons à la représentation toute personnelle et en cela critiquable de cette animation.
Deux éléments constituants sont nécessaires :
Le corps, (soma – soma), nous savons ce que c’est, c’est encore le plus facile à se représenter.
La pensée (nous – nousse) qui n’est pas la psyché contemporaine, mais l’activité de notre cerveau, sa faculté à penser, le mens latin en tant que principe pensant.
Dès lors, l’âme (yuce – psuké) que la traduction latine anima permet de cerner, serait le mouvement que produisent notre soma et notre nous, d’où un principe de vie et le siège des sentiments et des passions.
Mais, qu’est-ce qui nous anime ?
Car pour que ce mouvement se produise, il lui faut une impulsion.
Se pose alors la question fondamentale de la spiritualité ; et ce terme n’est pas choisi au hasard.
En effet, ce terme renvoie à l’idée de souffle, du spiritus latin qui a par ailleurs donné respiration inspiration expiration
Pourquoi ma chère Âme vous le cacher : je suis obsédé par l’idée de Souffle, le Ruah des Hébreux, le Pneuma des grec et ce Spiritus des Latins, l’Esprit (Saint) des chrétiens. Ce fameux souffle qui va nous animer.
Je ne m’étendrai pas sur son origine. C’est une question de foi, et la foi est une propriété que l’on possède ou que l’on ne possède pas.
Mais, comment ce souffle peut-il être efficient ?
C’est là que je me suis fait cette représentation que j’appelle la Parabole du Bateau.
J’espère ne pas vous ennuyer avec mes délires vespéraux.
Un bateau est, a priori, constitué d’une coque, et de voiles.
J’ai trouvé commode de considérer que la coque qui permet au bateau de flotter correspondrait au Corps (le Soma) qui est tout de même la condition sine qua non de la vie. Et que les voiles qui, de façon plus ou moins volontaire, vont impulser cette coque correspondaient à la pensée (le Nous).
Pourtant, simple somme d’une coque et de voiles, le bateau est en panne, il ne s’anime pas, il se réduit à un corps flottant, un épars. Et s’il coule, que les voiles même disparaissent, il n’est plus alors qu’un corps-mort.
Le plus important en effet tient en ce que ces voiles, réelles ou métaphoriques, vont permettre à la coque de capter le vent, ce Souffle extérieur, transcendant à mes yeux.
Alors, la conjonction de ces trois éléments (coque – voiles – vent, ou bien corps – pensée – esprit, ou encore Soma – Nous – Pneuma) va permettre au bateau d’avancer, de s’animer.
En conclusion, il faut impérativement ces quatre éléments (La coque, les voiles, le Souffle et le mouvement.) pour faire un bateau, ou un être, vivant.
J’admets que tout cela est foncièrement arbitraire, mais ce coup d’arrêt dans la polysémie, fusse au prix d’un élagage conceptuel hautement critiquable j’en conviens, m’a permis de m’y retrouver un peu dans la complexité de ces concepts.
Quittons si vous le voulez bien la métaphore pour revenir à nous, pauvres humains.
Comme la coque et les voiles, la somme de notre corps et de notre mental fait de nous des êtres potentiellement vivants, et j’insiste sur le terme d’êtres.
Mais il nous faut maintenant exister, ek-sister, aller nous poser ailleurs, autrement dit, nous mettre en mouvement, et pour cela, profiter du Souffle.
Se pose alors la question de l’origine de ce Souffle.
A mes yeux, celui qui ne se croit pas tributaire de ce Souffle divin, se persuade qu’il souffle lui-même dans ses voiles ce qui, en termes de navigation, frise le comique.
Car si cet être, ou plutôt cet étant pour reprendre une terminologie contemporaine, croit être à l’origine de son mouvement, il se réduit à une existence autocentrée, sans cause première et par là sans cause finale, ce qui est le lot du matérialiste, pour peu que, de surcroit, il ait baigné dans la philosophie de l’absurde.
Mais une fois de plus je vous égare.
Nous avons donc réuni les quatre conditions nécessaires pour ek-sister.
Mais, puisque j’en suis aux métaphores maritimes, il nous revient tout de même l’initiative de lever l’ancre.
Il va nous falloir border les voiles car le vent de Dieu n’est pas un vent arrière qui nous conduirait tout droit à destination, mais un vent de travers, plus vif et plus sportif qui nous oblige à établir nous-même notre cap en liberté, parfois même à tirer des bords, et surtout à prendre en compte les risques de dérive.
Et cela en évitant toutefois de trop border les voiles sous prétexte de prendre un maximum de ce vent béni au risque de dessaler dans un délire mystique.
Et si la tâche nous inquiète ou nous épuise, ne pas hésiter à demander le secours d’un équipier, voire de tout un équipage.
Mais au final, ma chère Âme, ai-je moi-même une âme ?
Je dois vous avouer que j’ai parfois la sensation d’être davantage agité qu’animé.
Et quand je ne perçois plus ce Souffle susceptible de pousser les voiles du navire de mon existence, j’ai l’impression de barrer un pédalo et de tourner en rond sur une mare aux canards.
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TANTUM ENIM TRANSEO
Pendant ce temps, j’avance