LE CARAFON

Je pense que ma névrose obsessionnelle, névrose de culpabilité s’entend, même si, et c’est là toute la subtilité de ce symptôme, je n’ai au final commis aucune faute, ma névrose obsessionnelle donc s’origine d’une cohabitation pour le moins anxiogène avec un carafon.

Pardon, non pas UN carafon, mais LE carafon.

N’allez surtout pas vous imaginer un banal pichet à eau de taille réduite. Aucun risque peccamineux alors n’aurait pu s’en attendre.

Ce que ma mère désignait du nom de carafon, LE carafon, était en fait une espèce de flasque en faïence aussi chantournée que polychrome, cadeau que mon futur père lui avait ramené d’une virée en province (c’est-à-dire passé la porte d’Orléans) lorsqu’ils n’étaient encore que fiancés.

Et cet objet, dont la fragilité en disputait à la laideur, incarnait, si tant est que la terre cuite puisse de quelque manière être une métaphore de l’Incarnation, incarnait donc aux yeux de ma mère cet amour naissant qu’elle décréta pérenne, même si des querelles récurrentes me laissaient pour le moins dubitatif.

Telle la statue d’un dieu lare, Le carafon trônait sur une petite console fixée dans le mince corridor qui servait de passage (que vous pouvez imaginer quelque peu inusité) entre la porte d’entrée et la cuisine, passage sur lequel débouchaient dans l’ordre, l’escalier montant et les portes respectives de l’escalier descendant, du salon, de la salle de bain et des toilettes.

Même si, éduqué comme cela était de coutume en ces temps reculés, j’étais peu enclin à organiser des spectacles de patins à roulettes dans ce qui n’était au final qu’un étroit couloir, chaque emprunt et surtout chaque croisement familial ouvrait à la possibilité d’embardées propres à faire naître chez LE carafon, une vocation pour le vol non-plané.

Par chance, à la suite d’une soirée « Piste aux Étoiles », le chat se prit d’une passion incoercible pour le trapèze volant. Passion qu’il se fit un devoir de partager avec LE carafon.

Mais, dans leur inexpérience commune, ils s’empêtrèrent si malencontreusement que le chat, selon un principe bien connu, parvint à retomber sur ses pattes, quand LE carafon, moins alerte, s’en trouva illico presto réduit au format croquettes.

Étais-je déjà antérieurement hypocrite, ou cette aptitude me vint-elle fort à propos lors de cet évènement ?

Qu’importe, mais je dois reconnaitre que pour l’occasion je fis preuve, pour porter le deuil de LE carafon, d’un talent qui aurait pu être à l’origine d’une vocation théâtrale pour peu que l’idée d’exploiter cette aptitude nouvelle vint à germer dans ma feinte innocence.

Bref, je fus réellement admirable dans le soutien inconditionnel que j’offris à ma mère à l’occasion de ce funeste évènement, tout en offrant au greffier une reconnaissance inconditionnelle pour m’avoir épargné un motif tangible de bannissement (voire d’aller simple en enfer).

Sans compter que suite à la regrettable disparition de LE carafon, la console elle-même, rappelant trop douloureusement le vide creusé dans le souvenir de ma mère, disparut à son tour.

Et, c’est libéré de cet aberrant goulet d’étranglement, que j’eus enfin pour moi seul toute l’amplitude de la patinoire carrelée pour librement peaufiner mes doubles axels et triples lutz (en patins de feutrine).

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BEATUS QUI PRODEST QUIBUS POTEST

Heureux qui vient se rendre utile à celui qu’il peut aider

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