– Bizarre cette chanson
– Quelle chanson ?
– Non rien de rien, non je ne regrette rien…
– D’abord, si je me souviens bien, ce ne sont pas des regrets mais plutôt des remords !
– Comment ça ?
– Dans l’idée que je m’en fais, les regrets concernent plutôt la douleur que l’on peut ressentir à l’idée de choses que l’on n’a pas réalisées quand les remords naissent du mal que l’on a fait.
– Admettons. Mais ce n’est pas ce qui me titille le plus…
– Je vous écoute.
– C’est plutôt la suite : Ni le bien qu’on m’a fait, ni le mal tout ça m’est bien égal…
– Des remords donc
– Oui mais surtout ce n’est pas rien !
– Rien de rien ?
– Si elle peut les énumérer c’est bien que ce n’est pas rien. Comme le disait pertinemment Raymond DEVOS :
Rien ce n’est pas rien puisqu’il peut y avoir moins que rien
et que trois fois rien c’est déjà quelque chose….
J’ajouterai que s’il y a des petits riens, on ne parle jamais de grands riens…
– Et pourtant nous ne sommes que de grands riens faute d’être de petits tout !
– Joli !
– Mais pourquoi cette question du rien vous tracasse-t-elle soudain ?
– C’est ma femme hier qui me dit : Chéri j’ai entendu du bruit dans le garage !
Je descends jeter un coup d’œil pour la rassurer et remonte en disant : Il n’y a rien.
Et la machine à laver ! Et la tondeuse ! Et les outils, les vélos, la table de ping-pong, la voiture et j’en passe…
Comment ai-je pu lui dire qu’il n’y avait rien ?
Que signifie ce rien à propos d’un tel capharnaüm ?
– Comme quoi les questions métaphysiques peuvent surgir des situations les plus triviales !
– Moquez-vous…
– Loin de moi une pareille idée ! Mine de rien, donc mine de quelque chose, c’est plutôt la question du néant qui vous taraude, et ce n’est pas rien.
– Rien – néant, c’est du pareil au même
– Taratata ! Rien voir – Rien entendre – Rien dire, c’est bien qu’il y a matière à voir, à entendre et à en témoigner !
– En tout cas, si on m’interroge je dirai que je n’en sais rien !
– Ne rien en savoir c’est déjà en savoir quelque chose puisque nous concevons un savoir différent du néant auquel ne nous manque que l’accès.
– Oups !
– Rappelez-vous Prévert dans son poème Barbara :
Au loin, très loin de Brest, dont il ne reste rien.
Êtes-vous déjà allé à Brest
– J’ai une cousine qui s’est mariée là-bas
– Donc Brest existe toujours.
– Ben oui puisque j’y suis allé pour la noce.
– Il en restait donc bien quelque chose contrairement à ce que prétendait Prévert !
– C’te blague !
– Dans le rien subsiste l’espace et le temps dans lequel ce rien se borne, ce qui n’est pas le cas du néant.
L’existence humaine n’étant rien d’autre que l’immersion dans l’espace et le temps, le rien est aisément cernable quand le néant échappe à toute tentative d’entendement. Pure absence inconcevable par l’esprit humain, le néant est l’antonyme de Dieu, pure présence, tout aussi inconcevable pour nous autres aliénés que nous sommes à l’espace et au temps.
En disant tout cela, je ne dis rien car la lumière portée sur le néant ne révèle nul élément perceptible et, projetée sur Dieu, elle se trouve tout entière reflétée sans qu’aucun manque ne s’y distingue pour circonscrire une quelconque forme. C’est en cela que Dieu, sans forme ni lieu ni temps peut se dire absolu, infini et éternel. Toute forme de représentation tient alors plus du ridicule que du blasphème.
– Ben vous, quand on vous lance c’est pas rien !
– Juste un petit rien au contraire dans l’océan de nos perplexités.
Un rien du Tout…
Allez un petit morceau de Pascal pour vous éclairer.
– Vous voulez brûler un billet de 500 Francs comme Gainsbourg ?
– Mais non ballot, un extrait des pensées :
Car enfin qu’est-ce que l’homme dans la nature ?
Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d’où il est tiré, et l’infini où il est englouti.
En fait il ne faut pas dire que l’homme N’est rien mais :
L’homme est Rien.
Et j’aurais même envie de corriger Pascal (rien de moins !) en disant non pas que l’homme est un milieu entre rien et tout, mais un (petit) Rien entre le Néant et le Tout.
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QUOD ERAT DEMONSTRANDUM
Ce qu’il fallait démontrer