Celle-là on ne me l’avait encore jamais faite :
Me voilà contrôler dans le train – pas de photo sur ma carte senior – et le contrôleur de partir dans un grand discours sur la beauté des personnes âgées, sur le charme des rides, sur cette expression de sérénité qui peut apparaître sur un visage flétri…
Si c’était un plan drague, inutile de préciser qu’il s’est pris le râteau du siècle ! (Voire du millénaire…)
Oui, je suis parvenu à cet âge une fois et demie canonique qui m’a permis d’obtenir de la SeNeCeFe une carte de réduction dite Senior que je préfère appeler carrément Vieillard ou, par dérision, 18-25.
Et si j’ai pu atteindre cet âge respectable qu’aujourd’hui on ne respecte plus, c’est grâce à sept résurrections.
Pas moins !
La première survint quand j’avais une dizaine d’années et que, grimpant sur le toit de l’abri de jardin pour grapiller quelques cerises inaccessibles, les trois planches vermoulues et maintenues par le papier goudronné qui assurait l’étanchéité cédèrent sous mon poids plume.
Par miracle, mon corps fluet trouva dans sa chute à se glisser entre un imbroglio de pieux, fourches, haches et autres barbelés qui se seraient volontiers dévoués pour me transformer en brochette de minot. Mon père me passa une avoinée mémorable quand il aurait dû rendre grâce au ciel pour l’héritier qui lui demeurait.
J’avais environ seize ans quand mon cœur de Castor Junior me poussa à plonger dans l’Armençon pour secourir un gamin en difficulté. Je fis à mes dépends l’expérience de ce que j’appris plus tard, à savoir que lorsque l’on n’a pas les compétences d’un maître-nageur, il faut se résoudre à laisser les gens se noyer seuls. Car c’est bien deux noyés que l’on failli repêcher tant je me trouvai entravé par celui qui aurait dû me devoir la vie sauve, et par là incapable de nager. Je voyais déjà les titres dans le journal local : Un jeune parisien périt en tentant de sauver un enfant ! Je ne me souviens plus de quelle violence j’ai dû faire preuve pour me débarrasser de ce poulpe qui au final s’en sorti très bien tout seul, et les journalistes en furent pour leur frais.
La troisième résurrection me fut allouée, ainsi qu’à ma petite famille, alors que je m’engageais, caravane en remorque, sur le pont d’Oléron un jour de tempête. Certes les pins s’agitaient quelque peu sur l’île, mais nous avions largement sous-estimé la furie d’Eole. Il prit alors à ladite caravane la fantaisie de vouloir nous devancer sur le continent, entraînant son tracteur cul par-dessus tête. Par chance sa malencontreuse initiative ne la poussa pas jusqu’à plonger par-dessus le parapet pour rentrer à la nage.
Ma quatrième résurrection m’a laissé un sentiment bizarre, tant sur le moment que par la suite. Redescendant d’une station de ski seul avec ma fille, je me trouvais bloqué derrière un camion roulant au pas dans un brouillard digne d’un film de vampire. J’ai tenu patiemment un temps avant de me lancer dans ce qu’il ne fallait surtout pas entreprendre, à savoir doubler. Le camion était long, du moins me le paru-t-il lorsqu’un de ses comparses surgit face à moi Je ne sais comment je parvins à le dépasser avant de me rabattre.
Je me retrouvai alors, à la même allure, dans un univers cotonneux, ne distinguant ni la route devant moi dans la pâleur des phares, ni les bois environnant. Il me vint alors à l’esprit que je n’avais peut-être pas évité le camion frontal et que nous étions morts. J’attendis quelques instants avant d’adresser la parole à ma fille pour me convaincre du contraire.
Quelques années plus tard je fis l’expérience de la douche Claude François. Rien de moins.
Pour vivre cette expérience, il vous faut aller à Cuba, ou peut-être en Amérique du Sud ou simplement dans n’importe quel pays dit en voie de développement.
Chez l’habitant, dans les habitaciones, la pomme de douche est arrimée par un tuyau en métal directement fiché dans le mur. Cette pomme de douche à la particularité d’être chauffante et alimentée, via un domino dénudé comme il se doit, par un fil qui s’entortille autour du tuyau et s’en vient disparaitre dans le mur. Jusque-là, l’échelle de risque demeure au modeste niveau Indiana Jones.
Or il se trouva qu’un beau matin, trouvant la température de l’eau un peu trop alpestre à mon goût, je levai les yeux et avisai une manette latérale propice à mobiliser un rhéostat. Les vacances, la dolence des tropiques et l’heure matutinale avaient, à n’en pas douter, déconnecté toute partie réfléchissante de mon encéphale puisque, sans hésiter, j’élevai une main humide reliée à un bras humide dépendant d’un corps humide reposant sur des jambes et des pieds non moins humides puisque ruisselants de l’eau trop fraîche de la douche. La mobilisation de la manette provoqua une gigantesque étincelle et je dois sans doute à l’humidité sus décrite de ne pas m’être instantanément transformé en charbon de bois.
A moins que…
Ma sixième résurrection est beaucoup plus triviale : alors que je roulais sur une étroite digue aux bas-côtés lilliputiens, mon téléphone, posé sur l’arrondi de mon tableau de bord, tomba et, ni une ni deux, je m’inclinai côté place du mort (prédestination ?) pour le ramasser tandis que mes pneus s’en allaient paître avidement la bordure herbacée. Je ne me souviens pas si j’ai ou non gagné mon permis de pilote de ligne.
La septième n’est pas des moindres car elle a quelque chose de mystique. C’est bien le moins puisqu’apparemment, arrivé au bout de mon jeu vidéo ici-bas, je devrais avoir épuisé mon stock de vies.
Je me trouvais en abbaye et, en tant qu’homme, logé dans l’enceinte.
Réveil vers 2h du matin et impossible de refermer l’œil, insomnie sans doute majorée par le fait que, me trouvant face au clocher, j’allais inexorablement décoller de ma paillasse à 5h45 pour les Laudes de 6h. Avantage contrebalançant cet inconvénient, j’avais de ma cellule un accès direct à la chapelle.
Il est peut-être écrit :
Nu je suis sorti du ventre de ma mère et nu j’y retournerai
(Jb 1,21),
mais les moines portant l’habit je me sentis tenu d’enfiler un petit quelque chose avant de descendre prier.
Je me vêts donc et me voilà en posture d’orant devant le tabernacle.
Mes rogations terminées, je me retourne et sursaute à la vue d’un personnage se tenant debout sur la rambarde de la tribune avant de comprendre qu’il ne s’agissait que de la statue toute saint-sulpicienne de saint Joseph plantée sur un chapiteau avancé.
Le temps que mon cœur fervent retrouve un rythme de païen, je réalise que cette vision à contrejour était due, de façon pour le moins étonnante, à une lueur dans la tribune.
Ni une ni deux j’y monte et trouve une bougie allumée, quasiment consumée jusqu’à la racine, laquelle était plantée sur une assiette en carton dans un fatras d’aiguilles et pommes de pin accolées à la balustrade en bois.
Compte-tenu du plan d’évacuation non prévu par les bénédictins bâtisseurs (à moins qu’il ne s’agisse d’un non plan d’évacuation prévu), nous aurions tous rôti sur terre avant d’achever notre cuisson en enfer.
En vérité je vous le dis, j’aimerais que ce dernier épisode soit plutôt un clin d’œil de la providence qu’une résurrection ce qui, suivant en cela le même processus miraculeux que précédemment, me laisserait encore une dernière occasion de survivre à la maladie qui, inexorablement, aujourd’hui me condamne.
J’ai retrouvé ce matin cet aphorisme dont je ne sais s’il est source de déprime ou d’appétence :
Aujourd’hui est le premier jour du reste de ma vie.
Une chose est sûre en tout cas, j’aimerais, au moment de ma mort, respirer l’odeur des lilas ; et si ce n’est pas la saison, pas de soucis, je suis tout disposé à attendre.
A bien y penser, tant qu’à attendre, j’opterais volontiers pour l’Amorphophallus Titanum.
Certes il dégage une odeur de charogne mais ne fleurit que tous les dix ans. Avec un peu de chance, puisque la providence semble être de mon côté, il vient juste de terminer sa dernière floraison.
Et puis quelle belle perspective pour les longues soirées de l’éternité : le Phallus de Titan !
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SPES MESSIS IN SEMINE
L’espoir de la moisson est dans la semence