MATHS ET DIEU

Vous ai-je dis que durant toute ma scolarité j’ai globalement été ce que l’on appelle un premier de la classe ? Que voulez-vous, nobody’s perfect, alors pourquoi m’en cacher…

Cette brillante position, je la dois en particulier à une émission de radio très en vogue à l’époque, à savoir SLC ou Salut-Les-Copains.

Comment une émission de variétés diffusant à l’envi des tubes dits yéyé, m’a-t-elle permis d’écraser de façon éhontée mes condisciples ?

Et bien simplement parce que je ne l’écoutais pas !

Je n’ai en effet jamais été capable de retenir la moindre leçon, de rédiger une quelconque dissertation ou de résoudre un problème de maths tandis que braillaient en arrière-fond Johnny, Cloclo, Sheila, Dalida ou les Chats Sauvages (auxquels au demeurant je préférais de loin Elvis, Bob Dylan, les Stones ou The Velvet Underground).

Mais c’est en maths que j’excellais tout particulièrement.

Cette pathétique prouesse résultait d’une méthode que je peux volontiers vous confier pour l’avoir enseignée en mon jeune temps aux cancres qui me permettaient de vivoter des cours particuliers que je leur dispensais, puis à mes enfants qui en ont tenu compte ce qui tient de l’exploit quand on sait ce que retiennent les enfants des conseils que leurs parents s’époumonent à leur prodiguer.

Cette méthode donc, simplissime au final, consiste :

– D’une part à lire de bout en bout la feuille qui nous était distribuée au début du contrôle. Souvent, en effet, la question suivante donne des pistes quant à la question qui la précède.

– Mais surtout, lorsque les questions sont hétéroclites, à commencer par s’attaquer aux problèmes pour lesquels une solution se laisse entrevoir, puis, une fois quelques points astucieusement glanés, revenir sur une devinette plus ardue. Tout cela pour éviter de se tétaniser stérilement contre une première impasse.

Mais je n’ai pas l’intention de vous faire progresser en algèbre, pas plus qu’en géométrie d’ailleurs ; si je vous relate ce souvenir de potache, c’est pour vous expliquer comment, dans un premier temps, je suis parvenu à lire Lacan. Et oui, non comptant d’avoir été un crac en maths, j’ai même lu Lacan. Avec parcimonie je dois bien le reconnaître. Il faut savoir ne pas abuser du pudding.

Allez, je vous accorde une citation facile :

Tout acte manqué est un discours réussi.

Jusque-là on suit, mais lorsque ce cher Jacques assène que :

Dans l’unité interne de cette tempolarisation,

l’étant marque la convergence des ayant été,

on risque de s’étrangler.

D’où l’intérêt de ne pas se crisper et de lire la suite du texte jusqu’au moment où ça parlera, quitte à revenir ultérieurement sur ce qui nous a pour le moins échappé en première lecture. Bref, comme pour la feuille d’énoncés du contrôle de maths.

Je me suis trouvé confronté au même problème lorsque je suis revenu à la foi. L’expression est d’ailleurs mal choisie car pour y revenir il aurait fallu que je m’éloigne de cette intimité.

De culture chrétienne, le Dogme, ou plutôt la tradition ecclésiale, s’est très tôt avéré être plus un handicap qu’une passerelle : Fils (unique) de Dieu, Sainte-Trinité, miracles en tout genre, Immaculée Conception, résurrection, saints divers et variés, stigmates, Transsubstantiation, Assomption, infaillibilité papale et j’en passe. Comme d’autres le font en maths, je butais sur chaque proposition de cette amphigourique fatrasie et séchais lamentablement. Je devrais d’ailleurs dire : qui me desséchait lamentablement !

C’est ainsi que j’en suis venu à appliquer la méthode que je vous ai précédemment suggérée : d’abord lire le texte de bout en bout, sola scriptura aurait dit Luther, autrement dit lire, ou relire les Évangiles et parallèlement l’Ancien Testament ainsi que les Épitres sans me tétaniser sur ce qui m’échappait.

Je dois reconnaître avoir fait quelque peu l’impasse sur l’Apocalypse, encore que je sois un jour tombé sur une interprétation lue qui ne m’a pas laissé reprendre mon souffle, telle une version prémonitoire de Donjons et Dragons.

Prenons par exemple l’épisode de la Marche sur les eaux par Jésus. (Evangile selon Matthieu chapitre 14, versets 22 à 33 soit Mt 14,22-33).

Je ne m’étendrai pas sur ce phénomène lui-même mais sur quelques (menus ?) détails techniques qui le précèdent :

Ainsi nous savons que la scène débute le soir :

Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent (Mt 14,15)

Nous savons également que cette foule était très nombreuse :

Or ceux qui mangèrent étaient environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants. (Mt 14,21).

Et voilà que Jésus intime l’ordre à ses disciples de partir tandis qu’il se chargera tout seul comme un grand seul de renvoyer ce beau monde :

Et aussitôt il obligea les disciples à monter dans la barque et à le devancer sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. (Mt 14,22).

Vrai qu’Il est le Fils (unique) de Dieu, mais c’est tout de même balaise !

Sans compter que de ce fait, les disciples, qui sont tout de même des marins quand le donneur d’ordre est charpentier, se trouvent contraints de lever l’ancre de nuit, sur une mer formée, (La barque) harcelée par les vagues… (Mt 14,24), et avec un mauvais vent, car le vent était contraire. (Mt 14,24) !

Rien d’étonnant alors à ce que, lorsque Jésus se décide à les rejoindre, pedibus cum jambis, vers 3-4h de matin, à la quatrième veille de la nuit (Mt 14,26), ils ne se trouvent pas avoir beaucoup avancé, (la barque) se trouvait déjà éloignée de la terre de plusieurs stades (Mt 14,25), soit plusieurs fois 185 mètres, une misère en tant d’heures !

Si je m’étais arrêté à ces détails, fussent-ils tout de même énormes, mon esprit (trop) logique aurait risqué de se cabrer devant de telles incohérences, et je me serais alors privé de la substance même du texte, à savoir comment Jésus nous enseigne à vaincre nos peurs, en particulier celle de la mort, ici représentée symboliquement par les eaux. Eaux sous lesquelles se cachent tous les dangers.

Lire donc en me saisissant ce qui me parle sans me crisper sur ce qui m’échappe.

Relire et m’émerveiller de ce qui en première lecture était resté zone d’ombre.

Relire et mâcher encore le texte ou simplement le picorer pour me laisser surprendre par son écho chaque fois nouveau et nourricier pour peu que je le laisse résonner pour mieux l’entendre.

La Parole de Dieu ne peut m’advenir comme parole que lorsque je la laisse librement parler.

Des éclairs de fiat lux surgissent alors dans mes ténèbres qui pour le coup les reçoivent, et je m’émerveille de voir la Parole comme s’émerveille un collégien curieux devant l’évidence d’une identité remarquable ou des propriétés de la sécante de deux droites parallèles.

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PAUCI NOC LEGERE POTERUNT PAUCIORES COMPUTARE

Peu sauront le lire encore moins le calculer

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