Ma chère Âme, avez-vous déjà fait l’expérience d’une crise de jettite aiguë ?
Je dois humblement reconnaître que ce terme n’appartient pas au vocabulaire médical et vous ne sauriez en trouver la définition dans le Larousse dit lui-même Médical, dans lequel, adolescent, je cherchais sans grand succès à savoir si ma conformation génitale correspondait bien aux critères dimensionnels supportant la comparaison.
Mais je m’égare…
Une crise de jettite aiguë est le résultat d’un abaissement drastique du curseur d’accumulation, et se traduit par une pulsion irrépressible conduisant à se débarrasser de tout ce poussiéreux trésor qui se justifie abusivement du critère : ça pourrait servir.
Tout cela pour vous dire que je viens de passer une journée et demie à quatre pattes dans le grenier de la maison dite de famille suivies de deux tours à la déchèterie, coffre replié rempli jusqu’à la gueule.
Conscient de la perfidie dont j’ai usé pour rogner l’héritage de ma fratrie, j’ai pris soin de dresser l’exact inventaire de mon exaction, à savoir :
– un magnétoscope Schneider 412 VHS hors d’état de nuire,
– un pick-up recouvert d’un faux tissu en vinyle verdâtre aussi dépourvu de charme que d’efficacité rotative,
– une faitière de frigo détachée lors de l’encastrement d’icelui,
– un sac plastique largement biodégradé contenant des tiges d’eucalyptus, si l’on se fie à ce que l’on en distingue sous la poussière, tiges peintes en bleu dans le but avoué d’en faire une décoration de table pour Pâques ou pour la Trinité,
– un carton farci de chutes de molleton crade récupéré lors du démontage du tissu tendu du salon,
– un attaché-case NEUF dans son carton d’origine mais au plastique véritable largement rendu poisseux par le temps d’inutilisation,
– diverses formes en polystyrène correspondant à divers emballages de divers objets HS sus et sous répertoriés,
– un autoradio sommaire avec sa station d’accueil pour tableau de bord de R16,
– deux appliques années 50 en tôle orange rouillée et tiges dorées piquées pour amateur laborieux,
– une collection assez conséquente de couches pour adulte, héritage de feu la voisine laissant par leur état pulvérulent imaginer ce qu’il reste de cette aimable donatrice,
– une glacière en polystyrène parallélépipédique à la fragrance inimitable,
– une seconde glacière non moins en polystyrène mais cylindrique et dont la fragrance contredit les prétentions d’inimitable de la précédente,
– une chaîne stéréo complète avec ampli (mort), lecteur de cassettes (bloqué), tuner, platine (sans tête de lecture) et paire d’enceintes (dont une crevée),
– une chute de moquette mordorée de trente-cinq cm de large sur un mètre vingt-huit de long, bon état général, inutilité magistrale,
– un aspirateur traîneau avec tous ses accessoires sauf le moteur,
– un petit croque-monsieur-maker biplace en aluminium, jamais servi ni avant ni après,
– une batterie de cuisine complète comprenant : trois casseroles en aluminium cabossé, un couvercle en aluminium non moins cabossé, une poêle Tefal bio car totalement débarrassée de son téflon,
Ajouter à cela :
– un petit poste de télé sans son ni couleurs fussent-elles noires ou blanches, assez élégant,
– une table de cuisson quatre feux (remisée dans son emballage d’origine précieusement conservé pendant les décennies de son utilisation) plaque de cuisson tellement élimée que je me demande combien d’éponges abrasives par paquet de douze ma mère a pu éreinter pour en faire à ce point disparaître l’émail,
– un seau en plastique armorié jadis isotherme aujourd’hui idéal pour bouteille de vin à boire chambré,
– une petite étagère trois étages 25-32-8 que c’est moi que j’avais dû la bâtir et que Ikea il ne m’a apparemment pas piqué ni le design ni la couleur fond de pot de laque pour salle de bain d’un subtil vert œuf dur oublié un an dans un panier pique-nique,
– un boc pour irrigation vaginale (tuyau caoutchouc vintage non garanti) indispensable en cas de pénurie de pilule,
– trente-deux cm de seuil de porte en laiton taillé à 45° sur l’une des extrémités,
– diverses boites à épices en plastique décor carreaux de Delft du meilleur effet,
– une ravissante mini gamelle casse-croute en aluminium pour terrassier anorexique,
– un moule à charlotte du même métal,
– huit centimètres et demi de seuil de porte en laiton également taillé à 45° sur l’une des extrémités,
– un bassin pour alité en métal émaillé blanc veiné de bleu, aussi écaillé que caille cul,
Parmi les accessoires d’aspirateur :
– une brosse en bakélite marron entre-deux-guerres,
– et une seconde alu et bois, toutes deux d’un calibre à jamais oublié,
– une râpe à fromage Multi Gratter US patent 2 271 175, made in France sans doute chromée jadis mais c’est tout parti, mais dont la manivelle est munie d’une mini poignée en bois tourné des plus gracieuses,
– un moule à tarte crépi de rouille pour anémique ferriprive,
– quelques coquillages ramenés sans doute de quelque voyage et d’aucune sorte d’intérêt esthétique,
– un lot de rotins gigognes dans lesquels avaient dû s’aligner en fin d’année des fruits déguisés,
– un sac rouge et un sac blanc dans un cuir aussi dur et racorni qu’une fesse de maso,
– une petite panière en osier 35-25-15 aussi ravissante que vermoulue,
– une tête de clown triste en feutrine rose diamètre dix cm,
– toute une collection de voilages aussi jaunâtres que mités soigneusement gardés des fois que,
– un Campingaz de notre enfance, pourri-rouillé et dont il manque la moitié d’un des deux brûleurs, mais dont la bombonne ne semble pas totalement vide, et que ma mère a non moins gardé des fois que,
– un transformateur redresseur alimenté en 110 et délivrant en sortie on ne sait quel voltage rapport que c’est pas marqué, mais dont les cinq bons kilos devrait permettre d’en faire un efficace cale porte,
– encore un aspirateur pas plus aspirant que le précédent,
– quelques rampes au néon sans néon,
– une collection de masques de carnaval en plastique tout ridés,
– une collection de verres à moutarde cassés ou fêlés à 90% et dont nous prélevons les 10% restant pour les casser ou fêler ultérieurement,
– une bouteille thermos cassée, que dedans,
– une paire de patins à glace improbables jadis achetés aux puces par moi-même ce qui me donne sur eux un droit de vie mais surtout de mort,
Et par-dessus tout cela, des merdes, des merdes, des merdes inénarrables, des vieux journaux publicitaires, des boîtes à couteaux sans couteaux, des casiers à couverts en plastique durci, un sous-main hideux fruit de lointaines heures de travaux manuels, des terrines rances dans lesquelles on ne refera jamais de pâté rance,
Unique regret, un attachant petit pot à calva, anse et bec malheureusement cassés et dont le bouchon tête de bonhomme était incurablement hémiplégique,
Et pour finir, un ouvre boite électrique offert par le Gin Gilbey’s et hypothétiquement fonctionnel pour peu que l’on dispose d’une alimentation en 110 volt.
À la déchèterie ma mère parviendra tout de même à arracher de mes mains sacrilèges la collection complète de plats en rotins pour fruits déguisés qu’ils sont si tellement jolis et une poignée d’embouts d’aspirateur, des fois que…
Me croirez-vous, ma chère Âme, mais voilà que quelques jours plus tard, j’ai fait un rechute…
Profitant de l’annulation de deux rendez-vous, je me suis hasardé à explorer le placard de l’entrée du cabinet et en ai successivement extrait :
– une authentique machine à écrire bloquée,
– deux imprimantes HS mais il en reste heureusement quatre trop en hauteur pour être accessibles,
– une unité centrale Windows 95, mais j’ai gardé mon premier Macintosh, souvenir, souvenir…
– un scanner mais pas l’autre coincé par le Mac,
– 22 kilos de revues médicales en attente d’érudition personnelle,
– un aspirateur cramé,
– deux fixations d’un radiateur depuis longtemps disparu,
– des cartons dépareillés presque pas écrasés,
– et un tapis protège moquette tout en miettes.
Sans compter
– une serrure dont j’ai perdu la clé,
– et quelques clés sans serrures,
– et des pots de peinture aussi sèche qu’un hareng saur sec,
– et quelques pinceaux, même époque, même couleur,
– et un rouleau et demi de l’ancien papier peint de l’entrée depuis longtemps retapissée,
– et 500 formulaires d’arrêt de travail périmés.
– avec les enveloppes…
À croire que la syllogomanie est génétiquement transmissible.
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OMNIA HUMANA VANA
Toutes les choses faites par l’homme sont destinées au néant