Mon Dieu que de circulation en ce mois de juillet ! M’est avis que l’on devrait interdire les caravanes et les camping-cars en période de vacances.
Voire carrément proscrire tout déplacement aux vacanciers.
Savez-vous qu’il existe une marque de camping-cars nommée Chausson ? Ça, c’est rudement bien trouvé comme nom de marque.
Leur slogan pourrait être :
Partez en vacances dans vos pantoufles !
Je les vois déjà ces téméraires aventuriers avec leurs ronds de serviette gravés à leur nom, les patins sur le lino et les napperons sur le formica.
De vrai fils du vent que j’vous dis !
Sans oublier la planification de l’itinéraire. Il n’y a pas de meilleure illustration de l’inconnu-connu : préparer un voyage vous condamne à ne découvrir que ce que vous connaissez déjà.
A ce propos, je me suis souvent demandé ce qu’il en était de nos premières amours, et je serais tenté de penser que, plus qu’un plongeon imprévu, cette expérience prétendument initiale tient plutôt de retrouvailles inconscientes avec quelque chose de culturellement annoncé.
Aimer comme voyager se fait en poète. Le vrai voyage doit se pratiquer le nez en l’air pour le plonger soudain, comme par surprise, dans un inattendu.
Inutile au demeurant d’aller au bout du monde pour se glisser dans cet inconnu-inconnu. Il peut, si vous consentez à vous y abandonner, survenir entre votre porte palière et la boulangerie.
Et si je parle de porte palière, c’est que tout voyage est d’abord, au moins chronologiquement, un abandon de notre habitus. Mais plus encore que de notre habitus, il faut se défaire de soi-même, tout quitter et surtout ne pas s’emporter.
De là vient peut-être ma détestation pour les camping-cars : quitter son chez-soi dans son chez-soi, avec son gant de toilette monogrammé, ses sièges de camping hideux et sa télé préréglée sur sa chaîne coutumière. Tout quitter mais tout emporter, sortir la moitié du bout de son nez par la portière entrouverte pour vite rentrer dans sa coquille.
Mais je devrais commencer par balayer devant ma porte ayant moi-même possédé un de ces engins.
Enfin pas exactement…
Le minuscule Combi Volkswagen auto-aménagé que nous qualifiions pompeusement de Camping-car n’était, à l’époque, guère plus gros que notre 4l quotidienne et son confort se limitait à une banquette transformable en contreplaqué, un frigo surmonté d’un deux feux et un évier-lavabo (vaisselle-débarbouillage). Pour la clim c’était vitres ouvertes, pour la douche incursion discrète dans un camping, et pour les toilettes : back to nature.
L’équipement était minimaliste mais nous pouvions discrètement planter notre campement sur un parking d’Amsterdam ou dans une ruelle de Palerme.
Les baleines contemporaines (qui certes offrent dans leur ventre douche, WC chimiques et climatisation réversible) sont impérativement tenues de s’échouer dans les endroits dédiés. Avantage : elles peuvent s’accoquiner entre pairs.
Mais baste de mes sarcasmes dans lesquels certains malintentionnés pourrait suspecter une once de jalousie.
Eh bien non, ne vous en déplaise, je ne suis pas envieux.
Si voyager est avant tout s’oublier pour aller nulle part, à cet effet le véhicule le plus abouti reste à n’en pas douter le pédalo !
Ah s’avachir dans un pédalo aux pseudo-transats trop inclinés pour distinguer une hypothétique destination.
La chair est triste hélas et j’ai lu tous les livres. Fuir, là-bas fuir seulement bercé par le clapotis d’une poussive roue à aubes.
Les anciens pensaient que, la terre étant plate et carrée et que l’horizon s’achevait sur une cascade. Que nenni, l’horizon est comme le saint Graal, inatteignable, et en cela à l’image de la quête.
Et de cette quête on se doit de ne pas revenir. Chacun sait en effet qu’il a fait un voyage lorsque persiste l’impression qu’il n’en n’est pas revenu.
On peut certes physiquement retrouver son Ithaque, mais le partant d’avant n’en revient pas, faute de quoi le voyage serait un cuisant échec.
Voilà pourquoi le pédalo est pur voyage, précisément parce qu’il n’a pas vocation à nous conduire quelque part.
Loué soit donc le pédalo qui au demeurant se loue mais ne se vend pas. Dommage.
Certes, comme disait mon père, cet objet improbable risquerait de se vendre comme des mirlitons à la porte d’un cimetière et l’on comprend mieux pourquoi aucun entrepreneur sérieux ne se soit lancé dans une SARL Pédalo – gros et détail.
Dommage donc car je n’aurais pas rechigné à posséder mon propre pédalo à moi, ne serait-ce que pour le personnaliser : carénage profilé, peinture pailletée, aileron arrière, dérailleur Shimano 8 vitesses, cale-pieds, frein par rétropédalage, compte-tour, GPS, altimètre, et, cerise sur le gâteau, tenue de cycliste du dimanche : maillot fluo sponsor, mitaines et casque aérodynamique polychrome avant de consulter la météo marine car le pédalo craint la houle.
Mais je m’égare dans un idéal de camping-cariste bouffi…
Un dimanche de solitude, ce point est important, je suis parti faire un tour au marché.
J’y ai croisé des huîtres qui me tentèrent.
J’hésitais un temps avant de me décider.
La marchande m’en céda treize pour le prix de douze. Deux avaient préféré se suicider sur l’étal plutôt que d’être gobées vivantes. Onze à la douzaine au final.
Pourquoi, me direz-vous, ce coq à l’âne ou plutôt ce coque à l’huitre alors que je vous parle de pédalo ?
Tout simplement parce qu’en rentrant je crus fondre en larmes. Non pas à cause des deux défuntes dont j’ignorais encore le drame. Mais parce que les huîtres et le pédalo ont un point commun :
Ça ne vaut qu’à se partager.
.
FAVET NEPTUNUS EUNTI
Que Neptune favorise ceux qui voyage