GAY PRIDE

Je ne vous cacherai pas, ma chère Âme, que je n’aime pas beaucoup l’église Saint-Sulpice. Je ne saurais vous dire pourquoi, mais je ne la trouve pas très priante. Je m’y rends tout de même chaque fois que je sors de La Procure avec un mètre linéaire de nouveaux livres destinés à rallonger les mètres et mètres linéaires de mes rayonnages saturés. Petit temps de prière donc, histoire de me faire pardonner cette prodigalité. En revanche, et sans vouloir me vanter, je peux revendiquer le fait que je lis au moins la moitié des livres que j’achète, ce qui est en soi une belle performance.

Bref, je me trouvais dans une chapelle latérale de cet édifice où je comptais me laisser aller à une prière silencieuse. Ce n’était apparemment pas le cas d’un robuste antillais qui, après avoir enjamber la grille, s’était collé contre l’autel sans doute pour se faire mieux entendre du Seigneur. En tous les cas, sa harangue en créole était pour le moins virulente. Pardonnez-moi cette saillie blasphématoire, mais je me suis laissé à penser que le Christ en croix qui surmontait la scène était en train de se faire remonter les bretelles.

Je repensai au Premier Livre des Rois dans lequel l’Eternel apparaît à Elie ni dans un ouragan, ni dans un tremblement de terre, ni dans un feu mais dans une brise légère, expression que Claudel traduira admirablement par un murmure de fin silence.

Autant dire que j’avais un peu de mal à me recueillir.

Exit donc du ring et me voilà reparti vers le calme Boul’Mich, ramblas de ma vie estudiantine.

Mais quel est ce doux murmure à faire pâlir de jalousie l’autoradio deux fois mille watts d’une récente Panda customisée, ailerons, jantes alu, pneus taille basse, dont les vitres ouvertes m’avaient fait si douloureusement réaliser à quel point le feu sous ma fenêtre pouvait être long ?

Quel est ce chuchotis qui fleure bon l’hélicon boosté et le vinyle rétrosilloné d’un DJ sous ecstasy ?

Mais voyons ! Me voici à deux rues de la Gay Pride…

Et pas bégueule la Gay Pride !

Que la tonalité globale soit folle n’a en soi rien d’étonnant, mais je n’aurais jamais pensé que de faire l’amour en inversant les rôles, comme disait Brassens, put inspirer tant de diversité.

Tout d’abord quelques chars de bonne conscience préventive pour la promotion du latex. Simple mise en bouche.

Et que se succèdent en tranches fondues des déguisés, des (quasi) nus, des queers, des drag-queens, des bears (ours poilus ventripotents le plus souvent en short), des trans, des SM cuir et clous et anneaux z’aux tétons façon foire de Laguiole, des bodybuilders en T-shirt Charal, (Oh putain les bestiaux, j’en n’avais jamais vu en vrai. Oh putain !), des camionneuses et autres bellâtres…

Tout un petit monde dont l’âge camaïait large, melting-pot festif se déhanchant sur un volume techno à fissurer Haussmann, seulement tempéré par quelques play-back de Dalida ou d’Albator, et dans lequel s’invitaient à la va-comme-je-te-pousse : l’association gay de la Mairie de Paris, l’Intersyndicale des cheminots lesbiens, l’Amicale trans-SM bureau 4 du service Prestations familiales de la Sécu. Rien que du militant. Sans oublier monsieur le maire (dit Notre Dame de Paris) que j’aurais aimé en Barbie princesse, et une pincée de communistes mal informés.

Avouons-le, même si je ne m’étais pas retrouvé là pour contempler cette tripotée de joyeux drilles venus s’exploser les tympans (comme quoi même une sexualité assumée peut rendre sourd), je me réjouissais d’avoir par devers moi un téléphone capable de tirer quelque portrait (quand mon Reflex était sourd-muet).

J’en vins donc à chercher à immortaliser l’objet transcendé de l’esthétique hellénique dont j’ai été pétri (discrètement, vous connaissez les jésuites). Ou plus précisément à capter l’association d’exception frisant l’oxymore à savoir : une drag-queen-bear ! Imaginez : Régine velue rehaussée telle une Cendrillon grassette en 45 Pyrex. Et ce avec l’intention inavouable d’en faire tirer un poster géant dont j’aurais orné ma backroom privée monoplace (Safer Sex garanti !).

Et ben ça ne se fait pas !

Comme quoi, même si j’ai fini par dégoter un militaire en minijupe kaki dont la semelle compensée et les talons de 37cm étaient peints tenue de camouflage, tous ces mecs, au bout du compte, ils sont vachement conformistes !

Croyez-moi ma chère Âme, je remercie de tout cœur les organisateurs pour ce joyeux corso plus bigarré que fleuri. Et puis, question carnaval, cela économise un aller-retour à Rio.

Néanmoins, écrasé par le tumulte de la samba, j’ai eu du mal à y retrouver ce murmure de fin silence

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NUMQUAM AURI SED OCULO SAEPE GRATA

Jamais à l’oreille mais souvent agréable à l’œil

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APHORISME

Une cacophonie de silences…

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