– Bonjour Monsieur 33. Je crois que je suis envoûtée…
– Qu’est-ce qu’il vous arrive Bernadette ?
– Vous promettez de ne pas vous moquez ?
– Loin de moi cette idée. Je vous écoute.
– Et bien figurez-vous qu’il y a une dizaine de jours, j’ai trouvé dans mon jardin un blouson crasseux, probablement jeté par-dessus la haie. À l’aide d’une fourche j’allais le mettre dans ma poubelle quand ma voisine m’a interpellée pour m’en dissuader :
C’est pas normal ce blouson. Il y a quelque chose de curieux au fait qu’il ait atterri dans votre jardin.
Comme je vous l’ai dit, j’avais simplement pensé que quelqu’un l’avait jeté par-dessus la haie et lui ai fait part de cette idée.
Je crois que vous êtes naïve Bernadette, c’est pas normal. On trouve pas ce type de blouson abandonné sur une pelouse comme ça. À votre place, je ne me contenterais pas de le jeter à la poubelle mais je le brûlerais.
C’est ce que nous avons fait.
Or, depuis cet épisode, je n’arrête pas de faire des cauchemars et accumule les ennuis. À croire que le diable était bien caché dans ce blouson et n’a pas apprécié le fait que nous le brûlions.
– Pour ma part, non seulement je ne crois pas que le diable existe, mais je crois plus encore que le diable n’existe pas.
– Toujours la même rengaine. C’est oublier que le diable nous fait précisément croire qu’il n’existe pas.
– Baudelaire !
– Comment ça Baudelaire ?
– Baudelaire a dit : La plus belle des ruses du diable c’est de vous faire croire qu’il n’existe pas !
– Ah bon !
– Mais je crains que l’on ait sorti cette citation de son contexte, entre autres celui d’une opposition de l’Eglise à l’égard du progrès.
Un instant, je vais vous retrouver ça sur le Net.
Voilà : dans un petit texte en prose, Le Joueur Généreux, Baudelaire dit très exactement :
Un prédicateur, plus subtil que ses confrères, s’écria en chaire : ʺ Mes chers frères, n’oubliez jamais, quand vous entendrez vanter le progrès des Lumières, que la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas !
Mais je dois reconnaître que cela fait suite à une belle moquerie à l’égard de l’âme :
ʺ Cependant le jeu, ce plaisir surhumain, avait coupé à divers intervalles nos fréquentes libations, et je dois dire que j’avais joué et perdu mon âme, en partie liée, avec une insouciance et une légèreté héroïques. L’âme est une chose si impalpable, si souvent inutile et quelquefois si gênante, que je n’éprouvai, quant à cette perte, qu’un peu moins d’émotion que si j’avais égaré, dans une promenade, ma carte de visite. ʺ
– Et bien moi, je vous dis que le diable existe. La preuve en est ce qu’il m’arrive.
– Et bien moi je vous dis qu’il n’EXISTE pas, mais, je vous l’accorde, je vous taquine.
– Ce n’est vraiment pas le moment !
– Soyons précis : que le diviseur SOIT, je veux bien l’admettre, mais de là à dire qu’il EXISTE…
– Là, j’ai du mal à vous suivre.
– Existe, ou encore : Ek-siste, de ek, en dehors, sisto : se tenir. C’est se tenir en dehors, apparaître au-delà de l’être, et par là avoir une action tangible sur le monde.
Je vais vous prendre un exemple espérant ne pas vous égarer.
– Concentre-toi ma Bernadette !
– Les virus n’existent pas !
– Ah vous en avez de bonnes ! Et c’est à une infirmière que vous venez faire étalage de cette ânerie.
– Mais non Bernadette, les virus n’existent pas ! Ils sont ! Ce sont des êtres certes, mais comme vous le savez, ils se réduisent à un simple tronçon d’ARN, une simple information génétique, et ne saurait exister, c’est-à-dire être ailleurs. Autrement dit, se reproduire par eux-mêmes.
– Ça je l’ai appris en effet.
– Et comment donc se reproduisent-ils ?
– Si mes souvenirs sont bons, ils pénètrent une cellule, la squattent en quelque sorte, et se servent de son matériel, des ribosomes en l’occurrence, pour se répliquer et se multiplier. Puis ils font éclater la cellule pour se disséminer.
– Pas mal la mémoire ! Et bien il en est du même de même du diable !
– Alors là il faudra m’expliquer le grand écart que vous venez de faire.
– Ce n’est pas un grand écart Bernadette. Je pense, mutatis mutandis, que le diable n’a aucun pouvoir direct sur la matière et tout ce que l’on raconte sur ses exploits relève de la légende.
C’est en cela qu’il n’EXISTE pas.
En revanche, je veux bien admettre qu’il SOIT, et que, comme les virus sur les cellules, il puisse avoir une action délétère sur les individus.
– Une action d’influence en quelque sorte !
– C’est exactement ça. Le diable n’a jamais eu le pouvoir de créer la bombe atomique, pas plus qu’il n’a pas eu celui de piloter l’Enola Gay, l’avion qui a lâché cette bombe sur Hiroshima. En revanche, on peut se demander comment l’esprit des hommes qui ont commis ce carnage, a-t-il pu s’égarer, se diviser.
Se diviser pour reprendre l’étymologie du diabolos, celui qui jette séparément, qui désunit, contrairement au symbole, le symbolon, ce qui réunit.
Comment donc le diable-diviseur a-t-il pu influencer les humains, comme un virus dans une cellule, et les conduire, tels des clones de son être mauvais, à produire une telle abomination.
– Cela ne résout pas mon problème.
– Je reprends. Vous qui connaissez les évangiles, vous vous souvenez des tentations de Jésus après son baptême.
– Oui, après 40 jours de jeun, il eut faim, rien que de très normal, et Satan lui propose de changer les pierres en pain.
– Et puis ?
– Et puis de régner sur le monde et même de faire de la magie en se jetant du haut du Temple
– Et alors ?
– Alors ? Eh bien, c’te blague, il refuse
– Et voilà, au chapitre 4 de l’évangile selon Matthieu, le diviseur propose et Jésus dispose.
Voyez-vous Bernadette, je pense même qu’au-delà du diviseur, c’est de la division intérieure de Jésus dont il s’agit.
Au moment de son baptême, son Père lui a dit qu’en lui Il s’était complu. Le voilà doté d’une carte de crédit Super Gold avec laquelle il pourrait tout faire : changer la matière, régner sur le monde, et même se faire l’égal de Dieu. On peut comprendre qu’il soit tenté, et cela de lui-même, sans même l’intervention de Satan.
– Comme vous y allez monsieur 33 !
– En effet je pousse peut-être le bouchon un peu loin, mais je crois que nous sommes nous-mêmes à l’origine de nos tentations ?
En en rejetant la faute sur Satan, nous nous déchargeons de toute responsabilité. Hétéronomie salvatrice !
– Hétéronomie ?
– Oui, le contraire de l’autonomie.
Belle tactique que l’hétéronomie qui nous permet de prétendre qu’un autre nous gère, comme si notre division relevait d’une entité extérieure à nous-même. Cela nous permet d’éviter d’avoir à nous gérer nous-même, autonomie par laquelle nous retrouvons responsables de nos actes.
Et cela depuis l’école maternelle :
C’est pas moi M’dame, c’est Pierre, Paul ou Jacques !
– Cela ne résout toujours pas mon problème.
– Oh que si ! En admettant que le diable n’a aucun pouvoir effectif, c’est alors admettre qu’il se sert de vous pour ses méfaits. Bref, que vous êtes à sa botte.
– M’accuseriez-vous d’être au service du démon ?
– En quelque sorte.
– Et alors ?
– Et alors, c’est à vous de l’envoyer chier.
– Carrément ?
– Carrément, oui !
Va t’faire foutre connard, j’suis pas ta bonne !
Et pour revenir à votre histoire, cessez donc de vous laisser impressionner.
Et surtout, cessez de vous laisser influencer par votre voisine, véritable suppôt de Satan si j’ose dire, bien qu’elle soit innocente car également manipulée malgré elle.
PARS SANITATIS SEMPER VELLE SANARI FUIT
La volonté de guérir est un commencement de guérison
Si la superstition est obscurantisme les superstitions ne sont que de petits arrangements avec le destin
Brillant .. et tellement évident après nous avoir bien remué 🤗😘😘😘