– Salut m’sieur !
– Euh, salut.
– C’est marrant votre truc.
– Mon truc ?
– Ouais, les gens-là qui s’arrêtent là pour vous causer.
– C’est ce que tu es en train de faire.
– Non, c’est juste comme ça.
– Comme ça ?
– C’est les copains…
– Les copains ?
– Pas chiche de lui dire qu’ils m’ont dit.
– Alors, chiche ?
– J’ai assassiné une vieille…
– Intéressant.
– Comment ça intéressant ?
– Donc tu as assassiné une vieille. Mais encore…
– …
– Tout le monde ne peut pas être assez Raskolnikov.
– Vous connaissez ?
– Rien de mieux pour devenir un soupçon psychologue que de lire Dostoïevski. Les Frères Karamazov bien sûr mais surtout Crime et Châtiment. Dans ma culture, j’ai un peu débordé Freud.
Comment t’appelles-tu ?
– Pacôme.
– Et bien Pacôme puisque tu es là, parle-moi de toi.
– …
– Ou alors parle-moi de ce garçon qui porte une boucle d’oreille avec une perle noire.
– Vous l’connaissez ?
– Le Café de la Mairie est en face de mon repère. J’y prends souvent un café et vous y êtes tout le temps fourrés.
Je n’ai pas seulement des oreilles pour ici, j’ai aussi des yeux et je regarde les gens.
Et je t’ai regardé.
Je t’ai regardé et j’ai vu comment tu le regardais.
– …
– Ça avance avec lui ?
– …
– Pourquoi est-ce que ça n’avance pas ?
– Je sais pas.
– Il y a un risque ?
– Un risque ? Je vais simplement me faire jeter ! Par lui, par la bande. Ne dites pas de conneries vous savez bien ce qui va se passer.
– Pardonne-moi mes conneries.
– Vous me parlez de ça comme si c’était normal. Comme si ça ne vous choquait pas.
– Je te parle de ça parce que c’est comme ça.
Je ne vais pas te parler d’un monde qui n’est pas le tien.
Je ne vais pas parler d’un Pacôme qui serait autrement.
Tu es amoureux de lui ?
– …
– Pourquoi ne lui dis-tu pas ?
– Je viens de vous l’dire, je vais m’faire ramasser.
– Et un autre ?
– …
– On est bien seul quand on a ton âge.
Tu regardes des vidéos pornos ?
– Parfois.
– Qu’en penses-tu ?
– Bof.
– C’est vrai que c’est assez monotone : on s’embrasse, on se suce, on s’encule, on s’embrasse, on se suce, on s’encule, on s’embrasse, on…
– Vous connaissez ?
– J’ai la nette impression, depuis que tu es ici, que tu me prends pour un débile mental direct tombé du Moyen Age.
Qu’importe, j’ai trop vécu dans le monde, trop entendu de confidences pour me leurrer sur la chasteté.
Tu sais ce que c’est de la chasteté ?
– Ouais, c’est pas baiser.
– Pas exactement. Ça c’est plutôt la continence.
La chasteté ce serait d’abord ne pas prendre l’autre pour un objet. Je dirais même, dans cette occurrence, que c’est faire une rencontre, avec douceur et respect. Ça te parle ?
– Sûr qu’on est loin du porno.
– Tu repenses aux film pornos quand tu te branles ?
– …
– Tu sais quoi, la prochaine fois que tu vas te branler…
– Que je vais me branler !
– Oh excuse-moi de te parler de façon aussi crue, mais enfin, tous les garçons de ton âge se branlent, c’est physiologique. Et ceux qui ne le font pas ont des pollutions nocturnes, ce n’est pas mieux.
Donc, la prochaine fois que tu vas te branler, tu vas penser à des choses très douces. Tu vas faire ça en tendresse.
– Ben vous, vous êtes pas banal !
– Allez, je ne te retiens pas, tes copains s’impatientent pour savoir comment j’ai pris le fait que tu assassinais des vieilles.
Ah, important : en pénitence, ni Pater ni Ave, on n’est pas au confessionnal. Et puis, entre parenthèse, réciter un Pater est une joie et se confier à Marie en est une semblable.
Non, en pénitence, la prochaine fois, où la première fois que tu coucheras avec un garçon, à un moment donné, tu l’embrasseras entre les omoplates, là où poussent les ailes des anges.
Surtout n’oublie pas !
Promis ?
– Ok M’sieur 33, j’y penserai…
– Ah, j’oubliais l’essentiel : assassiner des vieilles, à ton âge, c’est normal.
.
DILIGE ET QUOD VIS FAC
Aime et fais ce que tu veux