Commençons voulez-vous par une blague à deux balles (y en a-t-il au demeurant qui valent davantage ou au contraire, par la sagesse que toutes nous révèlent, ne sont-elles pas par essence infiniment pédagogiques ? J’y reviendrai à l’occasion).
Donc :
Quelle différence y a-t-il entre un pédophile et un pédopsychiatre ?
…
Le pédophile, LUI, il aime les enfants !
Navrant ?
Eh bien oui figurez-vous car cette pseudo blague repose sur un contresens. En effet, contrairement à ce que son nom donnerait à entendre (et à ce qu’insinuerait cette histoire douteuse), le pédophile, précisément, n’aime pas les enfants ; il a avec eux un rapport pathologique qui le conduit à ne pas les respecter et le terme le mieux approprié serait bien plutôt pédomane.
Car, petite précision sémantique, la manie est un ancien nom de la folie et sert de suffixe à bien des addictions (Cocaïnomane, nymphomane, kleptomane…).
Philie à contrario devrait pouvoir être réservé (mais hélas !) à tout quidam sainement amateur de, tel le philosophe, le philatéliste, le cinéphile, le colombophile, et autre boximusicophile qui, loin de frémir au son émis par l’impact d’un gant de boxe sur le cartilage nasal d’un adversaire, collectionne benoitement les boites à musique.
Mais je m’égare et pour un peu vous entretiendrais des avrilopiscicophiles.
Bref, moi qui ai consacré une bonne part de ma carrière à l’accompagnement d’enfants grâce à une philie réciproque de bon aloi, j’aimerais pouvoir me targuer d’être pédo-phile si je ne craignais que la justice (aveugle à l’étymologie) ne s’en mêle.
Donc : haro donc sur les maniaques en tout genre.
Et pourtant, j’ai pour la mythomanie une affection particulière et pour un peu je serai tenté de me prétende mythomanophile
Au fond je pourrais vous raconter n‘importe quoi
et vous me croiriez !
Combien de fois ai-je entendu cet assertion jaillir de la bouche de l’un de mes patients ?
Sûr que je croirais !
Non pas la véracité des faits rapportés, mais la Vérité du sujet qui s’y trahit. Car ce qu’il ignore tient en ce que paradoxalement c’est lorsqu’il ment qu’il est au plus près de Sa vérité.
Le roman est un mensonge qui dit toujours la vérité disait Cocteau.
Tant qu’un analysant ne rapporte que des faits authentiques, hormis la façon dont il les raconte, reconnaissez qu’il n’y est pas pour grand-chose et qu’ipso facto cela ne dit pas grand-chose non plus de lui-même. C’est bien au contraire lorsqu’il s’écarte de la vérité factuelle que Sa vérité peut éclore et que débute le travail. Car au fond, un sujet parlant ne peut rien inventer (au sens de faire venir) qui ne soit sincère (non corrompu), fusse à son insu.
Voilà peut-être ce qui expliquerait mon goût avoué pour les mythomanes, pour leur paradoxale authenticité.
Et puis, reconnaissons-le, dans une soirée, pour peu qu’ils soient un minimum brillants, ils sont d’une compagnie beaucoup plus réjouissante que la moyenne des convives.
Curieusement ce sont le plus souvent des hommes.
Peut-être les femmes sont-elles trop accaparées à peaufiner l’inépuisable sujet que constituent leurs rejetons pour avoir à recourir à cet artifice.
Ah, rien de tel qu’un bon mythomane, avec si possible un zeste de parano, pour tarir de façon drastique la diarrhée phatique d’un dîner en ville.
En outre il y a chez le mythomane un certain esprit de partage. On sent qu’il prend autant de plaisir à sa narration qu’à celui qu’il nous donne.
Je n’ai malheureusement pas cette capacité d’invention et, malgré ma mythomanophilie, me fait honteusement défaut le moindre talent mythomaniaque. Tout au plus ma témérité prudente (on revient toujours aux oxymores) m’octroie-t-elle à l’occasion quelque menu mensonge de circonstance.
Il me revient une soirée d’août, au cours de laquelle une coiffeuse poly-technicienne (coupe ET couleur) était assise sur la margelle de la piscine d’amis communs. Tandis qu’elle laissait tremper ses pieds manucurés (je dis manucurés parce que pédicurés ferait redondant) dans l’onde limpide, mon corps, pourtant légendairement gracile, se découvrait des instincts d’hippopotame pour échapper à la moiteur vespérale.
Qu’elle laissa dégorger ses pieds (même manucurés) dans l’eau de mon bain n’eut encore rien été au regard de la verve psycho-philosophico-Marie-Clairienne dont elle me shampoingnait les oreilles (prudemment maintenues hors de l’eau afin de détecter le fin clapot qui alerterait mes sens toujours en éveil, de l’arrivée, certes hypothétique, mais tout de même rédhibitoire d’un crocodile).
Captivée par mon mutisme (l’hippopotame est légendairement taciturne), et pour s’assurer que ses propos n’étaient pas jetés au vent comme daphnies à poisson rouge, elle fut prise d’une soudaine nécessité de s’assurer de la qualité de son auditoire et me lança un :
Et vous, c’est quoi dans la vie que vous faites ?
(Ah, d’amour belle marquise mourir vos yeux me font !)
Et, hippopotame ému, je me surpris à éructer un :
Volailler-tripier !
qui paru troubler l’œil précédemment vif de la sirène ongulo-laquée.
Prenant soudainement conscience de ce que la javellisation abusive du marigot avait dû occulter l’odeur de charogne qui d’ordinaire devait nimber mes charmes de prédateur (comme s’étaient probablement décollés de mes ongles impatients les traces sanguinolentes laissées par l’éviscération récente d’une pédante jumelle poularde), elle perdit sa langue pour retrouver ses jambes et me rendit à ma méditation lacustre.
Dommage ! Pour une fois que je me lançais, elle ne m’a même pas laissé le loisir du développement alors même que, sur le sujet, s’offrait à moi la muse idéale…
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AD AUGUSTA PER ANGUSTA
Des résultats grandioses par des voies étroites