J’ai appris une expression abominable :
DÉSHERBER UNE BIBLIOTHÈQUE !
Cela consiste, pour une municipalité ou une institution, à se débarrasser des ouvrages qui ne sortent plus des rayons, et, oserais-je ce blasphème, ipso facto les encombrent.
C’est ainsi que j’ai fait l’acquisition, à vil prix, d’un ouvrage au titre prémonitoire : Tais-toi. Exemplaire MOR 20.025 encore couvert de son plastique bibliothécaire, et muni, en troisième de couverture, d’un onglet triangulaire toujours garni de sa fiche, témoin insolite de son éphémère célébrité.
Qui lit encore Paul Morand plus de cinquante ans après qu’il a écrit ce petit roman entre août 1964 et février 1965, pour le faire publier fin 1965 ?
La Bibliothèque pour Tous du Centre Départemental des (ex) Côtes-du-Nord dût en faire l’acquisition fin 1966 à en juger par l’heureux emprunteur, un nommé LEFOLL qui lui offrit sa première sortie le 26/11 de cette même année, avec retour à l’étal le 10/12.
Deux semaines de virée avant de patienter jusqu’à l’été suivant.
Premier engouement :
BAER le prend du 4 au 13/07/67,
CARNOT le lit (ou l’abandonne) en deux jours (20/07-22/07),
DRANCY l’emprunte à son tour le 14/08 pour le rendre le 19 à
SAFFROY qui le gardera jusqu’au 29.
L’été s’achève déjà et les hivers doivent être bien besogneux dans les (ex) Côtes-du-Nord hormis pour HERVIOU, retraité sans doute, qui en illuminera ses giboulées du 18/02 au 10/03/68.
Et le joli mois de mai 68, tout chômé qu’il fût, ne semble guère avoir poussé les abonnés à la lecture. À moins que la tenancière, inspirée par la Liberté guidant le Peuple, n’ait clos l’hui avant de dégrafer son corsage afin, tel l’égérie de Delacroix, d’en libérer ses mamelles bretonnes pour mieux guider le (bon) peuple des (ex) Côtes-du-Nord.
Heureusement, l’été suivant c’est la rechute :
LAISNE le prend le 19/07, le rend le 22 juste à temps pour que
PITOIS l’agrippe le 24 pour sitôt l’échapper le 25, relayé le 29 par un
SOLTREAU plus tenace qui ne le lâchera que le 12/08 venu.
Pause jusqu’au 20 et
SANDRIN s’en saisi et le passe le 24 à
LEFRANCOIS qui l’abandonne le 28.
Et les (pas encore) Côtes d’Armor retournent à la brume.
L’été 69 dût être trop clément pour pousser à la lecture car c’est seulement le 18/08/70 que ledit QUEVY G. (Gwenaël ou Guénolé sans doute, ou Gaston) vint s’approvisionner au Centre Départemental.
Et puis rien pendant 3 ans cette fois.
ETEREL le gardera seulement 7 jours du 20 au 27/07/73.
Voilà, c’est fini, ou presque.
En 83, un certain RIALLANT y jette un ultime coup d’œil en juillet encore. Deux semaines d’une dernière escapade estivale suivie de 30 longues années à se faner sur une clayette avant le désherbage.
RENDEZ VITE VOS LIVRES : D’AUTRES LECTEURS LES
ATTENDENT. MENAGEZ LES – ILS SONT VOTRE
BIEN COMMUN. NE BRISEZ PAS LES
RELIURES EN PLIANT LE LIVRE A
L’ENVERS. N’ECRIVEZ RIEN
SUR LES LIVRES. NE
CORNEZ PAS
LES PAGES.
SIGNALEZ LES PAGES DECOLLEES.
PREVENEZ DE VOTRE CHANGEMENT D’ADRESSE.
Et d’aucun voudrait que je me fasse éditer !
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FRUSTRA ENIM VENIT ET PERGIT AD TENEBRAS
ET OBLIVIONE DELEBITUR NOMEN EIUS
Il est venu dans la vanité, il s’en va dans les ténèbres
et dans les ténèbres son nom est enseveli – (Ecclésiaste 6,4)