AH BON !

Elle ne l’avait jamais vu nu en érection – elle le voyait nu flaccide le matin dans la salle de bain, et lorsqu’ils faisaient l’amour il était toujours tout de suite sur elle, toujours tout de suite en elle.

Elle aurait aimé saisir son sexe – y laisser aller et venir une main qu’elle aurait eu humide – mais lui, sitôt qu’elle avançait semblait comme brûlé par cette main qui tentait de le saisir.

Elle ne l’avait jamais vu jouir – elle le sentait seulement – d’un seul coup plus chaud en elle – plus lisse et plus doux.

Elle aurait alors aimé poursuivre ce qui pour elle ne semblait que commencer – mais c’était fini.

Elle regardait d’elle ses seins lourds, son ventre moutonné par les grossesses.

Elle s’imaginait suspendue par un corset – horizontale – les seins rendus coniques par la pesanteur – magnifiés par une simple rotation du cliché.

Parfois une main posée sur le rebord de la baignoire l’autre tordue dans le dos elle s’inventait ce profil dans le miroir de la salle de bain – des seins somptueux vertico-dardés – image sitôt gâchée par son ventre flasque.

Un jour il était rentré dans la salle de bains – il lui demanda – elle répondit – il dit « Ah bon ! »

Chaque fois qu’il posait une question – qu’importe ce qu’elle répondait – « Ah bon ! » disait-il.

A quoi pensait-il – à qui pensait-il lorsqu’ils faisaient l’amour.

Elle, elle ne pensait à rien – ou elle pensait à lui – elle pensait à ce qu’il pensait.

Quand il revenait de déplacement il se jetait sur elle – il disait « Tu m’as manquée ! ».

Il était plutôt en manque – elle savait qu’il avait seulement faim – elle ne lui en voulait pas.

Après une absence elle lui parlait un peu – il ne le regardait pas, il parlait aux ongles de sa main droite qu’il lustrait du pouce – il disait « Ah bon ! » – et après c’était passé.

Un jour d’absence elle repéra dans un magasin le livre de cuisine d’un grand chef – elle hésita – c’était cher.

Elle le reposa – le repris – regarda le prix à nouveau – et les photos – et le prix.

Elle le feuilleta – le reposa – et elle finit par l’acheter.

Elle rédigea soigneusement la liste des courses et sitôt rentrée fit confire les échalotes, réduite le vin de Chinon, l’émulsionna comme notifié avec de la crème épaisse, pocha les rattes et grilla les filets de bar côté peau.

Dès qu’il fut assis elle disposa prestement les lamelles de rattes en rosace sur une assiette chaude, les tartina des échalotes confites sur lesquelles elle disposa sans les briser les filets de bars qu’elle stria de lichettes de sauce réservant le reste, essuya les éclaboussures et décora le bord de l’assiette de poudre de paprika doux.

Elle dit « Attention c’est chaud ! » en posant à l’aide d’une paire de maniques les assiettes sur des sets brodés.

Il était rentré préoccupé – s’était mis à table en maugréant contre son supérieur hiérarchique.

Elle le regardait vider son assiette

Il dit « Tu ne m’écoutes pas ! » – « Si, si ! ».

En écho il lui demanda ce qu’elle avait fait de sa journée.

« J’ai acheté un livre de cuisine ».

« Ah bon ! ».

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TEMPORI SERVIRE

S’adapter aux circonstance

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