MONIQUE B.

Bonjour ma chère Âme.

Honte à moi pour ce long silence !

Mais voilà que je comble cette lacune pour vous parler de Monique B. qui fut ma maîtresse tout l’an passé.

Je recevais Monique B. depuis longtemps et la voyais grossir de façon inquiétante. Sa tendance dépressive m’interdisait d’aborder le sujet mais, à la rentrée de septembre, la sentant reposée et détendue, j’ai lâché le morceau :

Madame B., vous semblez avoir pris du poids. Il va falloir que nous fassions quelque chose.

Tout était à craindre chez cette hypochondriaque qui depuis plusieurs mois avait complètement laissé aller à la dérive l’image d’un corps pourtant sujet permanent de son attention.

Pour pas qui ou, pour pas quoi Monique B. aurait-elle pu devenir mince ?

Oui Docteur, puisque VOUS me le demandez, NOUS allons nous y mettre. Mais il faudra que VOUS m’aidiez.

Bien sûr ! Et je vous pèserai chaque semaine.

Ah ce je vous pèserai !

Venez Madame B. que je vous pèse.

Ce frôlement phonétique des labiales P et B, l’angoisse du glissement d’un signifiant à l’autre, du lapsus jamais lâché et pourtant logiquement inévitable puisque constamment guetté.

Ce lapsus, je l’ai laissé à une patiente qui un jour me donna du : Je pensais, Docteur, que la dernière fois vous me baiseriez. Lapsus qu’opportunément je fus le seul à entendre.

Et Monique B. me fit hebdomadairement l’offrande de ses non-kilo, de ce corps fondant, de ce corps désirable par moi puisque répondant au désir qu’elle me prêtait.

Et notre amour fut parfait puisque chaque fois ce corps venait combler une attente supposée.

Et dans le transport du transfert, Monique B. m’abandonna pas moins 17 kilos en ne vivant que d’amour et d’eau fraîche.

Mais vint un jour où, comme l’homme à la cervelle d’or, Monique B. ne put gratter la moindre parcelle de sa chair grasse pour nourrir sa passion oblative. Et Monique B. réalisa que ne lui restait à m’offrir que l’image de son corps figé, arbre stérile des poires pour ma soif.

Elle reprit bien quelques kilos qu’elle reperdit aussitôt mais ce je le reprends pour te l’offrir ne trompa personne.

Alors Monique B., consciente de ce que son corps maigre était devenu impropre à nourrir nos élans racola pour moi.

Comme une courtisane flétrie s’approprie l’amour que son amant porte à celle qu’elle lui a elle-même présentée, Monique B. glissa dans mon bureau les kilos d’une autre.

Elle dénicha les plus grosses, les plus grasses, les plus dodues de ses relations qu’elle ne se contenta pas de m’adresser, mais qu’elle accompagna jusque sur ma balance, et dont elle surveilla l’amincissement en vraie mère maquerelle.

Mais vint encore un jour où Monique B. pressentit que les substituts qu’elle me livrait devenaient autonomes et que sa voyeuriste présence gênait l’attention que je leur portais ; attention qui n’était pas sans lui rappeler douloureusement les débuts de notre passion.

Monique B., soudainement, nе put supporter de me voir paiser ses recrues.

Avec toutes les clientes que je vous envoie, vous n’avez plus le temps de vous occuper de moi !

C’était lancé !

Après l’amour la jalousie.

Irions-nous jusqu’au divorce ?

Le pire était à craindre…

Mais Monique B. m’aimait.

Après m’avoir rappelé, émue, la vésicule qu’elle m’avait abandonnée deux ans auparavant, elle se mit à avoir des vertiges. Je m’en inquiétai fort et elle chavira.

Aucune thérapeutique n’aurait eu la prétention d’arrêter ce manège à moi c’est toi et, après de savants examens visant à débusquer l’origine du trouble (tu me troubles tu sais), je me suis d’abord contenté de quelques granules qui ne suffirent point.

Une seule thériaque calme aujourd’hui Monique B. de son mal du transport : l’application sur les tempes d’un subtil mélange d’huiles aromatiques, empreinte olfactive faite à partir d’un échantillon appliqué sur le dos de ma propre main.

Vous savez, Docteur, coté poids, je ne bouge plus.

Combien de temps, Monique, garderez-vous la pose ?

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RES IPSA LOQUITUR

La chose parle d’elle-même

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