Quel talent !
Transi en cette veille de Noël, j’oubliais les cadeaux en attente dans la contemplation de l’ouvrier chocolatier qui, bien au chaud dans sa vitrine, plongeait les guignes dans le chocolat fondu et les extrayait avec dextérité pour les poser sur une plaque de marbre, puis enchaînait l’enrobage des écorces d’oranges confites et encore les nougatines et encore…
Quel talent ! dit la brave dame.
J’te la cause grognasse !
Ça aurait jailli, comme ça, du plus spontané, du plus profond, du plus rien. Une vindicte rageuse, ravageuse, foudroyante.
Pourtant cette brave dame n’avait rien pour justifier ma ire soudaine.
Rien, vraiment rien, même si elle suintait la versaillaise de province.
Non par une coupe au carré sous serre-tête velours, veste matelassée sur pantalon écossais, ou l’air d’avoir une bru à lui laisser avec déférence la place du mort dans la bleu marine cathomobile.
Non.
Une brave dame poivre et sel à la coupe vigoureuse, au manteau noir trois quarts sur tailleur sombre, à l’étole de soie qui prend si bien la lumière, aux escarpins mats.
Une brave dame repue de sa remarque phatique.
Une brave dame à clamer que son fils est extraordinaire même si…, que sa fille ne l’appelle jamais comme si elle même n’avait pas de clavier sur son téléphone, quant aux petits-enfants pour ce qu’ils sont reconnaissants…
Une brave dame inscrivant l’amour dans une logique comptable.
Une brave dame qui, bien sûr, ne fait jamais la sieste même si elle n’a jamais vu un épisode de Derrick en entier, qui ne rate jamais Des chiffres et les lettres, surtout les chiffres.
Une brave dame pour qui ces jeunes…, et à l’occasion ces étrangers…, pour qui ils…tandis que nous…
Une brave dame au mieux avec ses voisins chez qui elle n’est jamais entrée.
Une brave dame tellement aimable de ne pas être gentille, tellement brave dame.
Une brave dame à qui, ivre de ma nausée, fracassé par ma haine, à l’acmé de mon aversion j’ai hurlé dans un murmure courtois :
Oui, quel talent !
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BREVITATIS CAUSA
Dit brièvement