BRÈVE RENCONTRE

Lui arrivera-t-il une fois d’être à l’heure ?

Et moi qui poirote, qui fait le pied de grue. Pour cela mieux vaut être dedans que dehors, je ne vais tout de même pas m’embronchiter pour cette glue, voire qui sait, passer le reste de la nuit au poste accusé de racolage sur la voie publique…

Comment appelle-t-on l’entrée d’un restaurant ?

Le hall ? Trop grand.

L’antichambre ? Trop intime.

Le couloir ? Peu précis.

Enfin bref, je suis là, à peine dedans, j’ai posé mon manteau à la patère mais refuse de m’installer à une table. Si mon rendez-vous tourne au lapin, je n’ai pas l’intention de dîner seul comme un VRP.

De quoi ai-je l’air ainsi planté sur ce paillasson armorié, à me dandiner comme un pissou, à saluer de retour les gens qui me saluent, leur tenant la porte au besoin histoire de me donner une contenance, le sourire niais aux lèvres histoire de rien. Invisible et poli j’attends, évitant de renifler dans le courant d’air, évitant de me laisser aller à la colère sur ces innocents qui passent, évitant de…

– Alors toujours fidèle au poste !

Réveil en sursaut…

– Euh ? Oui

« Euh-oui », ça c’est de l’à-propos. Pourquoi pas « Oui monsieur le maire » ou « Les deux mon général » ?

– J’avais bien cru te reconnaître pendant que je réglais mais j’étais pas sûr.

Attends ! C’est qui ce gros qui me tutoie tout bridge dehors avec son bout d’épinard serti sur la canine gauche ?

– Ben dis donc 20 ans dans l’métier t’as du courage.

– A chacun sa croix !

Croix d’bois croix d’fer si j’mens j’vais en enfer.

– Allez, c’est un beau métier qu’tu fais là !

Non mais dis donc, faudrait pas me prendre pour le larbin de service, moi aussi j’ai bien l’intention de m’en jeter une de lotte sur une fondue d’épinards, et avec un petit Chablis de derrière la patronne encore.

– Toujours avec Gaëlle ?

Si Bénédicte arrive pendant que ce type radote sur les exploits d’un autre, bonjour la soirée ! Chance il me tend déjà la main.

– Bon courage Franck !

– Désolé, mais je ne m’appelle pas

Franck… et le décor qui se gondole comme un fondu de cinéma.

Franck !

Vrai que je me suis appelé Franck dans une vie antérieure. Pas par coquetterie, j’avais simplement un homonyme parmi les mono du centre aéré qui m’employait d’où mon deuxième prénom, Franck. J’aimais bien, ça sonnait clair, mais du coup c’est toujours moi que les gamins appelaient.

Et Gaëlle !

Gaëlle, la serveuse du Veneziano dont le patron me filait la pièce pour un coup de main en soirée.

Gaëlle, grand dieu – une fausse blonde un rien vulgaire.

Ah jeunesse peu regardante au pot pourvu qu’elle ait l’ivresse !

Franck, Gaëlle, du si peu, du si loin…

Mais lui ?

C’est qui ce tutoyeur de loufiat qui s’attarde quand son faux carré Hermès a déjà retrouvé le trottoir ?

Sans doute un ex-garde-chiourme recyclé trois pièces cravate carpaccio de Saint-Jacques, condescendant bouddha grasset dont je tiens la main depuis trop de secondes pour qu’il ne me croie ému.

– Heureux de t’avoir revu … et bon courage.

– Pareillement ! Bonne soirée m’sieurs dames.

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PRIMAS SUM, PRIMATUM NIL A ME ALIENUM PUTO

Je suis un primate, des primates rien ne m’est étranger

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