DEMANGEAISON

J’ai entendu un jour sur France Culture une remarque intéressante concernant l’invention du langage : contrairement à ce que l’on croit souvent, cette acquisition n’avait pas pour but de permettre la transmission d’informations techniques qui ne sont efficaces que par l’exemple. Pour vous en convaincre, essayez donc, au téléphone, d’expliquer à un ami comment faire un nœud de lacet.

L’invention du langage a eu pour effet de permettre de chatter, de se transmette les histoires du groupe social et, en cela, de modifier les comportements de ce dernier.

Je vais néanmoins user de ce langage pour laisser éclater ma ire à l’égard de la technique, de ses concepteurs et de leur morgue à l’égard du méprisable utilisateur que je suis et de ses failles.

Parviendrez-vous à en comprendre les subtilités ?

On accuse bien souvent les concepteurs, et à juste titre, de ne pas imaginer qu’il puisse y avoir un utilisateur des produits qu’ils proposent. Il est des cas où l’on peut au contraire s’émerveiller : ainsi en est-il de la bombe avec laquelle je nettoie mes lunettes. En effet, le minuscule opercule de la buse noire d’où jaillit le produit a été judicieusement cerclé de blanc. Quand on sait que par principe l’on n’a pas ses lunettes sur le nez lorsqu’on les nettoie, voilà un détail astucieux pour ne pas crépir le miroir.

Plus douteux, car sans doute conçu par un nabot d’un mètre quatre-vingt-douze, le vertigineux hayon de ma nouvelle voiture ! Heureusement, dans sa longanimité, le constructeur a prévu non moins de deux plans B :

Soit se saisir d’une judicieuse cordelette permettant au premier pygmée venu de tirer la bobinette et la ferraillette lui cherra illico sur la tronche.

Soit, pour peu qu’on ait le bras long, glisser les doigts dans une fente prévue à cet effet dans la garniture dudit hayon que l’on pourra alors rabattre d’un geste prompt ce qui aura parallèlement pour effet d’enfoncer davantage les quatre doigts dans la sus décrite fente, et d’en interdire toute salutaire extraction avant que les phalanges ne se retournent sur les métacarpes et que ne jaillissent des chastes lèvres de la victime une bordée d’injures dignes du capitaine H.

Du même tonneau, j’ai naguère possédé une berline allemande dont tout laissait croire que les ingénieurs qui l’avaient conçue n’en avaient jamais usée.

Je vous fais grâce de l’ouverture boite à lettre du coffre, du débattement limité à 60° des portières arrière et du fait que les sièges ne se rabattaient pas, l’ensemble interdisant, sans aller jusqu’au frigo, le transport de tout objet encombrant. Je pense que la perspective d’un tel usage aurait tenu d’une telle vulgarité qu’elle était simplement inenvisageable.

Il semble bien d’ailleurs que ce soit une certaine « vulgairophobie » qui, outre le fait d’avoir banni l’idée d’un hayon, ait également censuré que l’on installa un essuie-glace sur la vitre arrière. Il faut reconnaître que l’aérodynamisme abouti du prestigieux engin permettait qu’à 130km/h sur l’autoroute, l’eau glissât tel un pet sur une toile cirée et s’évacuât derechef. Mais il en allait tout autrement lorsque la nécessité nous poussait à reculer sur un parking après une ondée. Dommage pour le carré Hermès de mamie.

Voiture de luxe, elle était dotée d’un élégant volant à deux doubles branches façon bois dans lequel était serties deux touches crantées dont l’appui discret déclenchait un viril klaxon. Le volume sonore, modulable en fonction de la pression que l’on y exerçait, s’avérait d’une rare courtoisie pour réveiller un ci-devant chauffeur poursuivant sa nuit tandis que le feu avait verdi. Il en allait tout autrement lorsque, précipité dans une manœuvre périlleuse, volant en biais et regard accaparé, il fallait retrouver ce putain de chierie de foutu klaxon baladeur.

Mais l’oscar de l’incongruité, au sens étymologique du terme, revenait au bouton de climatisation qui, doté d’une LED tête d’épingle, indiquait parfaitement la mise en marche de ladite climatisation pour peu que l’on s’en inquiétât nuitamment en plein hiver, mais qui se faisait résolument indiscernable en pleine lumière estivale avec ou sans lunettes solaires.

Mais baste, nous pourrions chacun écrire une encyclopédie sur le sujet…

Mais comment résister à l’envie de condamner ce (censuré) d’ingénieur à cette double peine :

Que le cul vous gratte et que le bras vous raccourcisse !

Juste un prêté pour un rendu technique, et il verra…

E FRUCTU ARBOR COGNOSCITUR

On reconnait l’arbre à ses fruits

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