LE PASSANT DES ARTS ET METIERS

– Bonjour Uriel, sportif aujourd’hui !

– Le vélo, rien de tel pour circuler en ville M’sieur 33. Et ne me dites pas que j’suis d’la pédale.

– Uriel ! Je ne me serais jamais permis une telle vulgarité.

– J’veux bien vous croire…

– Soyez tout de même prudent, ce n’est pas sans danger.

– Des fois j’me dis que j’ferais mieux d’aller à pied.

– Certes ne pas faire de vélo par peur de tomber est la meilleure façon de ne pas tomber, mais c’est aussi la meilleure façon de ne pas faire de vélo.

– Vous avez d’ces formules ! Ceci dit, y’a des cyclistes qui font vraiment n’importe quoi, j’en vois même qu’envoient des SMS en roulant !

– Et pendant ce temps, ils ne pédalent que d’une main.

– Que d’une main ? Ah oui… vous êtes un marrant.

Mais j’peux vous dire qu’l’autre jour c’était moins une !

– Looping en vue ?

– Pire ! Figurez-vous qu’arrivé à la hauteur des Arts et Métiers, voilà, juste devant moi, un gars qui descend du trottoir le nez collé à son smartphone.

– Eh bien, j’en connais un qui l’a échappé belle.

– Je ne vous le fais pas dire, encore que j’sais pas si c’est lui ou moi, ou lui et moi qui l’ont échappé belle.

– Vrai que vous auriez pu prendre tous les deux un beau gadin !

– Vous n’y’êtes pas M’sieur 33. En fait, quelques instants auparavant, je papotais avec un pote et juste comme j’enjambais ma bécane, il m’dit un truc, j’sais plus quoi, mais du coup ça m’a retardé de dix mètres et le gars j’aurais pas pu le renverser.

– Une chance.

– Pour sûr car il était plutôt beau gosse.

– Je ne vois pas le rapport…

– Le rapport ! Ben on se serait retrouvé tous les deux les quatre fers en l’air, ça crée d’l’intimité. Alors on se s’rait un peu plu, et un peu plus, et tout ça, et tout ça, et alors bonjour la galère, et alors, ah si seulement j’l’avais jamais rencontré…

– Mais l’amour, Uriel, l’amour !

– J’suis plus un pigeon de l’année, M’sieur 33, j’connais la vie. Alors, l’amour…

– Bref vous ne l’avez pas rencontré et vous voilà sauvé. Pas de regrets.

– Un peu quand même…

– Un peu quand même ?

– Ben, il était pas mal, et puis, au final, les galères ça vous trémousse le quotidien.

– Voilà qui me rappelle un poème de Baudelaire, A une Passante :

Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté

Dont le regard m’a fait soudainement renaître,

Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !

Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

– C’est ça, on aurait pu s’faire un bout de déroute ensemble…

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DUCUNT VOLENTEM FATA NOLENTEM TRAHUNT

Le destin porte ceux qui l’acceptent  et traîne ceux qui le refusent

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