ÉMILE ET CLÉMENCE

Vous savez comme moi qu’un bon fou rire requiert deux ingrédients essentiels :

  • Primo, une situation proscrivant toute rigolade (l’intensité du fou rire étant directement proportionnelle à cette proscription !)
  • Secundo, un complice.
  • Pas de Tercio, le sujet de la rigolade au final important peu…

Lorsque j’ai rencontré celle qui allait, pour un temps, devenir ma femme, je me gelais dans un loft de 12m2 encombré d’un lit de 70 ce qui, une fois le matelas posé au sol, appelait inévitablement au rapprochement des corps. Bref, le lieu commun de la bohème estudiantine.

Entre deux siestes dans un amphi, je dus me rendre avec ma sœur aux funérailles d’un grand-oncle et de son épouse, synchroniquement passés de vie à trépas suite à une overdose de monoxyde de carbone.

La cérémonie débutait sur les lieux du drame et, bien entendu, nous sommes arrivés en retard, tandis que dans le minuscule salon qui faisait salle comble, la séance de componction familiale avait déjà débutée.

Nous avons donc contourné la maigre assemblée, longé le mur de droite avant de dépasser les cercueils parallèles pour aller nous garer dos à la fenêtre opposée, en regard donc d’un public qui pouvait constater le sérieux de notre recueillement face aux dépouilles préemballées.

Dès que tout le monde eut replongé le nez dans son mouchoir, je laissai mes yeux se dégourdir les jambes et gambader sur le décor environnant.

Ma sœur repérant ma scrutatrice pérégrination s’inclina imperceptiblement pour me susurrer cette perfidie :

Tu cherches un appartement 

L’effet en fut hirochimiesque !

Nous voilà partis d’un fou rire dont l’irrépressible le disputait à l’inapproprié – elle pleurant hypocritement toutes les larmes de son corps – et moi me mordant les joues à m’en sculpter une tête d’anorexique, duo de pantins hoquetant face à une assistance prostrée. Assistance dans laquelle nous pouvions repérer, nullement dupe de nos simagrées, notre mère furibonde de nous voir, en pareille occasion, nous gondoler comme deux croque-morts sur un parvis. Pour sûr qu’elle nous aurait étripés si nous n’avions été protégés par les parallélépipèdes vernis d’Émile et de Clémence

Cher Émile et chère Clémence qui devaient, à n’en point douter, s’égayer en la circonstance de la réconfortante allégresse insufflée par notre juvénile hilarité.

On naît seul

On jouit seul

On meurt seul

Alors, pour que cette tragédie soit supportable, rien de tel que d’aller aux enterrements en insolente compagnie.

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JUVENTUS STULTORUM MAGISTER

La jeunesse est le professeur des fous

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