UNE CHEVRE NOMMEE EMMA

Je suis tombé un jour sur un dessin humoristique au graphisme certes assez simpliste mais dont le texte et le contexte m’ont mis en joie, et aujourd’hui encore, comme je le fais au demeurant avec d’autres séquences, j’aime à me le remémorer dans des moments de spleen pour me donner un peu de baume au cœur.

Bref, imaginez une vue prise du fond d’une salle de classe.

Au premier plan, à gauche sur le dessin, un potache boutonneux croqué de trois-quarts dos et, au fond, en perspective sur la droite, un prof dont on imagine qu’il est de lettres, un peut ringard et au visage pour le moins dépité.

Il faut dire que le résumé dudit potache a de quoi surprendre même si, au final, il cerne parfaitement l’intrigue de Madame Bovary :

Charles n’assume pas

alors Emma en pince pour Rodolphe

pour elle c’est un plan love

pour lui c’est un plan cul…

Et le prof de consentir un :

Oui, y’a d’ça…

Mais il y a plus que d’ça !

C’est très exactement ça !

Ce qui m’étonne c’est qu’un tel gamin ait pu cerner de façon aussi pertinente la problématique. A moins bien sûr que ce ne soit plutôt le produit de la réflexion du dessinateur. Mais je préfère ne pas rendre à César ce qui reviendrait à César.

Madame Bovary est vraiment pour moi un chef-d’œuvre et j’ai la chance inouïe de l’avoir relu longtemps après que l’on me l’avait infligé à un âge où je n’y pouvais rien comprendre.

Comme il y a la mention best before sur les denrées alimentaires périssables, on devrait rendre obligatoire la mention best after sur les livres. Ainsi, Madame Bovary serait-il conseillé au plus de 35 ans, tout particulièrement aux hommes après qu’ils auront fait la cuisante expérience du caprice féminin.

Á propos de caprice, vous n’êtes pas, non sans ignorer comme se complaisent à dire les journalistes, mais plutôt sans savoir, que le mot caprice vient de capra, autrement dit chèvre.

Il faut avoir eu un jour commerce avec une chèvre (commerce honorable et non à la légionnaire cela va sans dire) pour réaliser l’extraordinaire pertinence de cette étymologie ; et le plus cocasse, c’est qu’il n’y a pas plus efficace qu’une chèvre pour vous rendre chèvre (hormis précisément une femme capricieuse – mais je pressens que vous allez une fois encore me traiter de misogyne quand je ne fais que témoigner de ma confrontation cuisante au bovarysme).

Laissons donc là cet embryon de querelle et revenons-en aux chèvres.

Je présume que, bien avant d’avoir lu, ou dû lire, Madame Bovary, vous avez lu, ou plutôt on vous a lu La Chèvre de monsieur Seguin à l’heure du coucher afin de polluer de cauchemars de loup vos innocentes nuits enfantines.

Le plus étonnant tient en ce que ce conte que Daudet publie en 1866, soit dix ans après Flaubert, raconte peu ou prou la même histoire.

Reste à savoir si les enfants, et les lecteurs parentaux y voient malice.

Je m’explique :

Ce vieux monsieur Seguin, comme Charles, partage son existence avec une bien jolie petite chèvre qu’il affectionne et gâte dans l’espoir de se l’attacher.

Mais la Blanquette se languit tant l’obsède une soif du monde à laquelle ne saurait répondre ce nigaud.

Et la voilà s’échappant pour aller, comme Emma le fait au bal donné par Rodolphe en son château, pour aller donc se pavaner dans la forêt.

Et ce qui devait arriver arrive, Emma la Blanquette tombe sur le loup qui en fait sa collation.

Notre potache aurait plus simplement dit qui se la tape comme on le fait d’une bière ou d’un hamburger, mais ce serait oublier qu’il s’agit tout de même d’une œuvre littéraire, et du XIXe siècle de surcroît.

Et dire que l’on a traîné ce cher Gustave en correctionnelle pour atteinte aux bonnes mœurs et à la religion !

Et dire que l’on a laissé l’Alphonse propager son indécent récit en toute impunité et que l’on s’obstine (sans décryptage !) à en vicier nos têtes blondes dès le berceau.

Non mon bébé, le loup n’est pas un loup mais l’image de tous les prédateurs qui guettent ton chemin de Petit Chaperon Rouge.

Non mon bébé, Blanquette n’est pas une oie blanche mais plutôt une dinde suffisante.

Non monsieur Seguin n’’est pas un gentil monsieur mais un gros bourrin qui ne comprend rien à la psychologie féminine que lui aurait pourtant dévoilée Blanquette comme aurait pu le faire Emma si, comme Charles, il avait posé LA question :

– Que veux-tu amour de mon cœur ?

– Autre chose

.

VINCIT CUPIDITAS VOLUPTASQUE RATIONEM

Le désir et la volupté dominent la raison

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