TO BE OR NOT TO BE

– Bonjour Monsieur 33.

– Bienvenue François, vous m’avez l’air tout excité. Quelle est donc la raison de ce tumulte intérieur ?

– Vous ne me croirez pas : une virgule !

– Une virgule ?

– Vous connaissez to be or not to be.

– Ah, Hamlet, acte III scène 1 :

To be, or not to be, that is the question :

Whether ’tis nobler in the mind to suffer

The slings and arrows of outrageous fortune,

Or to take arms against a sea of troubles

And by opposing end them.

Mais surtout :

To die – to sleep, no more

And by a sleep to say we end

The heart-ache and the thousand natural shocks

That flesh is heir to

.

Mourir, dormir, rien de plus

Et par le sommeil dire que nous mettons fin

A la souffrance du cœur et aux mille blessures

Qui sont le lot de la chair

Cette phrase a bouleversé mon adolescence François !

Mais je m’emballe moi aussi. Revenons à votre virgule !

To be or not to be, aphorisme que, classiquement, l’on traduit par être ou ne pas être.

Mais imaginez monsieur 33 que vous mettiez une virgule dans cette phrase.

– Et où donc ?

– Et bien to be or not virgule to be.

– Et qu’est-ce que ça change ?

– Mais ça change tout :

To be or not, to be

Être ou non, Être !

C’est alors une affirmation de vie, une invitation à l’action, à l’énergie, à l’enthousiasme, à la nécessité à exister.

Voilà qui contrebalance ce Mourir, dormir, rien de plus qui vous avait bouleversé.

– En d’autres termes : être présent.

– Voilà.

– Mais en même temps, François, vous savez bien que le présent n’est qu’un point virtuel entre le passé et le futur.

– C’est ce que certains prétendent. Pour ma part, je préfère dire que seul le présent existe. Que nous sommes résolument hic et nunc ici et maintenant, et que dans ce présent se fondent le présent du présent, le présent ou, si vous préférez, la présence du passé et le présent – présence du futur.

– Alors, selon vous, To be serait être présent au présent.

– Bingo !

– Je vais peut-être vous étonner François, mais c’est, indirectement, une notion que j’ai quasiment rabâchée aux équipes de soignants que j’accompagnais : la triple présence.

– Mais encore ?

– Je conseillais aux soignants de repérer si, auprès d’un malade, ils étaient dans une triple présence, à savoir :

Être dans le présent selon le sens que vous avez évoqué, habiter l’instant.

Être présent comme s’opposant à être absent : que la personne qui est en face de vous perçoive que vous êtes là et non que, tel un robot, vous effectuiez votre tâche en pensant à autre chose.

Et enfin être un présent, dans le sens de cadeau, en ce que l’on puisse percevoir que vous offrez sincèrement avec néanmoins, de votre part, toute la prudence et les limites qu’imposent une relation professionnelle.

– Vous me faites penser à ma belle-mère.

– A votre belle-mère ?

– Figurez-vous que lorsque nous arrivons pour les vacances, à peine sommes-nous descendus de voiture qu’elle commence à se lamenter : Quand je pense que dans huit jours vous allez repartir ! Et de nous énumérer toute la difficulté qu’il y avait à vivre seule avant que nous arrivions, et la tristesse qu’elle ressent déjà à l’idée de retrouver cet état de solitude après notre départ.

Inutile de vous dire que nous nous escrimons à lui répéter à qui mieux-mieux que pour l’heure nous sommes là. Peine perdue !

Et ce, d’autant plus étonnamment qu’insensible à notre argument, elle repart illico-presto vaquer à ses occupations et que nous ne la voyons quasiment pas de la semaine.

– Permettez-moi de faire le parallèle avec un de mes amis qui, venant prendre le café, gobe régulièrement les petits carrés de chocolat que je lui propose. Et ce, tout en parlant de ses soucis professionnels et de tout ce qu’il a à faire dans la semaine. Et voilà que se constitue une montagne de papiers d’emballage alors même qu’il prétend être au régime.

Un jour que je le raccompagnais sur le palier, je me suis permis cette réflexion taquine : Excuse-moi, j’ai oublié de t’offrir un chocolat avec le café, ce à quoi il m’a répondu : Pas grave ce sera pour une autre fois !

– Comme quoi il n’est pas besoin d’être autiste pour cultiver l’art d’être ailleurs…

.

OCCASIO ÆGRE OFFERTUR, FACILE AMITTITUR

Il est peu probable que l’occasion se présente,

mais il est facile de la perdre

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